Kenilworth
compagnons.
– Cela prouve assez qu’il a prospéré, dit Lambourne, Quand on a une fois de l’argent à soi, on ne se trouve pas volontiers sur le chemin de ceux dont la recette est dans la bourse des autres.
– Prospéré ! Vous souvenez-vous de Cumnor-Place, ce vieux manoir près du cimetière ?
– Si je m’en souviens ! à telles enseignes que j’ai volé trois fois tous les fruits du verger. Mais qu’importe ! c’était la résidence de l’abbé toutes les fois qu’il régnait une maladie épidémique à Abingdon.
– Oui, dit l’aubergiste, mais aujourd’hui c’est la demeure de Tony Foster, en vertu de la concession qui lui en a été faite par un grand de la cour à qui la couronne avait octroyé tous les biens de l’abbaye. C’est son château, et il ne fait pas plus d’attention aux pauvres habitans de Cumnor que s’il était devenu chevalier.
– Il ne faut pas croire, dit le mercier, que ce soit tout-à-fait par orgueil. Il y a une belle dame dans cette affaire, et Tony permet à peine à la lumière du jour de l’entrevoir.
– Comment, dit Tressilian, qui pour la première fois prit alors part à la conversation, ne venez-vous pas de nous dire que ce Foster était marié, et marié à une précisienne ?
– Sans doute, et à une précisienne rigoriste comme on n’en vit jamais. Tony et elle vivaient comme chien et chat, à ce qu’on dit. Mais elle est morte, laissons-la en paix ; et comme Tony n’a qu’un petit brin de fille, on pense qu’il a dessein d’épouser cette inconnue qui fait ici tant de bruit.
– Et pourquoi ? demanda Tressilian. Je veux dire pourquoi fait-elle tant de bruit ?
– Parce qu’on dit qu’elle est belle comme un ange, répondit Gosling ; parce que personne ne sait d’où elle vient, et qu’on voudrait savoir pourquoi elle est si étroitement renfermée. Quant à moi, je ne l’ai jamais aperçue ; mais je crois que vous l’avez vue, M. Goldthred ?
– Oui, mon vieux garçon ; c’était un jour que je venais à cheval d’Abingdon ici. Je passai sous la fenêtre cintrée du manoir, sur les vitraux de laquelle on a peint je ne sais combien de saints et de légendes. Je n’avais pas pris la route ordinaire, car j’avais traversé le parc. Trouvant que la porte n’en était fermée qu’au loquet, j’avais cru pouvoir user du privilège d’un ancien camarade, et passer par l’avenue, tant pour profiter de l’ombre des arbres, attendu qu’il faisait bien chaud, que pour éviter la poussière, parce que j’avais mon pourpoint couleur de pêche avec des galons d’or.
– Et que vous n’étiez pas fâché, dit Michel, de faire briller aux yeux d’une belle dame. Mauvais garnement, ne renoncerez-vous donc jamais à vos anciens tours ?
– Ce n’est pas cela, Michel, ce n’est pas cela, dit le mercier en souriant d’un air content de lui-même. C’était la curiosité, un mouvement de compassion intérieure ; car la pauvre dame ne voit du matin au soir que Tony Foster avec ses gros sourcils, sa tête de bœuf et ses jambes cagneuses.
– Et vous lui auriez montré volontiers un gaillard bien bâti, un justaucorps de soie, une jambe bien tournée dans une botte de Cordouan, une figure ronde, souriant sans trop savoir pourquoi, et semblant dire : – Que vous faut-il ? un beau bonnet de velours, une plume de Turquie, et une épingle d’argent doré. – Ah ! mercier, mon ami, ceux qui ont de belles marchandises aiment à en faire étalage. Eh bien ! messieurs, allons donc, que les verres ne chôment point ! je bois aux longs éperons et aux bottes courtes, aux bonnets bien remplis et aux têtes vides.
– Je vois bien que vous êtes jaloux, Michel, dit Goldthred ; mais si le hasard m’a favorisé, il n’a fait pour moi que ce qu’il aurait pu faire pour vous ou pour tout autre.
– Ah ! s’écria Lambourne, que le ciel confonde ton impudence ! Oses-tu bien comparer ta face de pouding et tes manières de boutiquier avec l’air guerrier et le ton comme il faut d’un homme tel que moi ?
– Mon cher monsieur, dit Tressilian, permettez-moi de vous prier de ne pas interrompre ce brave marchand. Il raconte une histoire si agréablement, que je l’écouterais volontiers jusqu’à minuit.
– C’est de votre part plus de faveur que je n’en mérite, dit Goldthred ; mais puisque mon récit vous amuse, digne M. Tressilian, je le continuerai, en dépit des railleries et des sarcasmes
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