Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
sur le cheval que l’un de ses écuyers lui
présentait par la bride, il enfila ses gants blancs, donna un coup de cravache
et rejoignit les artilleurs qu’il avait déployés sur le pourtour d’Aspern,
masqués sous des arbres ou à des angles de bâtisses. Tout était prêt. Les
servants restaient debout derrière une vingtaine de canons déjà chargés. Sur un
geste de Masséna, ils allumèrent la mèche de leurs boutefeux. Bien en vue dans
la plaine, les troupes du 6 e  corps d’armée autrichien que
commandait le baron Hiller, habile mais âgé, se tenaient au repos, serrées,
compactes.
    — Pointez au ras des blés ! ordonna le maréchal.
    Puis il s’empara du boutefeu d’un artilleur, et, sans
descendre de cheval, l’œil féroce, livra ses instructions :
    — Quand j’aurai allumé la charge du premier canon,
attendez le temps d’une respiration et déchaînez le canon numéro quatre, puis
le sept, le dix, le treize, et ensuite le deux, le cinq, le neuf, ainsi de
suite. Je veux une ligne de feu ! Ces chiens sont à notre portée !
    À ces mots, il baissa le boutefeu qu’il tenait, alluma la
charge qui déclencha le tir avec fracas, suivi par le quatrième et les autres à
intervalles égaux, tandis qu’on rechargeait déjà et à la hâte dans un nuage de
fumée.
    Cette bataille n’avait pas encore de nom. Chacun
l’imaginait, la craignait ou la méditait depuis une semaine, mais elle venait
réellement de commencer.
     
    À trois heures de l’après-midi, les habitants de Vienne
entendirent résonner les canons. Les plus curieux se précipitèrent en masse
vers tous les observatoires possibles pour assister au spectacle. Ils se perchaient
sur les toits, sur les clochers, sur les anciens créneaux des remparts. Ils se
disputaient les meilleures places comme au théâtre. En compagnie de son médecin
allemand, Carino, qui lui avait cédé en l’autorisant à prendre l’air, et malgré
une douleur lancinante, Henri Beyle s’était installé à la pointe d’un bastion
d’où l’on apercevait les méandres du Danube et la grande plaine verte. Il y
avait été entraîné par les sœurs Krauss, et, quelle chance, l’agaçant Monsieur
Staps ne les avait pas suivis. Très loin dans le Marchfeld, les bataillons en
marche ressemblaient à des miniatures inoffensives, et la fumée des canons à
des boules de coton. Henri avait l’impression d’être dans une loge
d’avant-scène et il en ressentait de l’embarras. Les flammes qui montaient
maintenant des maisons bombardées d’Aspern ne le réjouissaient guère. Anna
s’emmitouflait dans son grand châle d’Égypte comme s’il faisait froid, et elle
tremblait légèrement, les lèvres pincées. Elle prévoyait certainement le pire
pour Louis-François, dans cette mêlée lointaine, mais Henri, dépourvu de
jalousie, n’admirait en elle que l’image de la douleur impuissante.
    Un lunetier de la vieille ville louait des longues-vues pour
un temps minuté, qu’il contrôlait sans cesse en consultant sa montre. Par le
biais du docteur Carino, Henri en demanda une, mais le bonhomme avait été
dévalisé et répondit que ce gros monsieur, là, à gauche, aurait bientôt achevé
son temps de location, qui coûtait deux florins, une misère pour une
représentation de qualité qu’on ne reverrait pas de sitôt. Lorsque Henri put
enfin profiter de la lunette, il la dirigea vers Aspern où flambait une grange.
Une colonne de fumée noire montait, la maison voisine s’embrasait, le toit
allait s’effondrer mais sur qui ? Puis il se tourna vers le pont où
s’affairaient des hommes-fourmis. Une rumeur circulait à laquelle Henri ne
croyait pas : l’Empereur avait brisé le grand pont flottant pour empêcher
une retraite et forcer ses soldats à la victoire. Anna tendit la main avec un sourire
triste ; Henri lui donna sa longue-vue, où elle colla un œil, anxieuse,
mais à cette distance, même avec cet instrument, on ne distinguait que des
mouvements, rien de précis, surtout pas des visages ni même des silhouettes
connues. Le loueur protestait. On n’avait pas le droit d’utiliser ses
longues-vues à plusieurs, il réclamait deux florins supplémentaires. Quand le
docteur Carino eut traduit ces récriminations à Henri, celui-ci approcha son
visage près du marchand et beugla un « Non ! » qui le fit reculer.
À ce moment, une voix féminine appela :
    — Henri !
    Il jura entre ses dents. C’était Valentina. Elle

Weitere Kostenlose Bücher