Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
exemple, au
Caire, un seul bourreau avait tranché la tête de deux mille rebelles turcs en
cinq heures sans se fouler le poignet. Vincent Paradis s’était écarté de ce
groupe. Il redoutait de vivre sa dernière journée, et pour ne penser à rien,
sinon à l’immédiat, il taquinait avec un roseau une grosse tortue ;
ramassée dans la vase, elle se débattait, retournée sur sa carapace.
    — Elle arrivera jamais à s’rétablir, ta bestiole,
commentait un autre voltigeur. Elle a les pattes trop petites, comme nous. Moi,
si j’avais les pattes plus grandes, et qui flageolent pas, j’te jure que je
décamperais et vite !
    — Pour aller où, Rondelet ?
    — M’terrer dans un trou, pardi, en attendant que ça
passe. J’envie les taupes.
    — Tais-toi…
    Paradis tendait l’oreille.
    — Tu entends, Rondelet ?
    — J’entends les sornettes de l’adjudant mais j’écoute
pas.
    — Les oiseaux…
    — Quoi, les oiseaux ?
    — Ils se sont arrêtés de chanter.
    Le voltigeur Rondelet s’en fichait. Il grignota un biscuit
tellement sec qu’il manqua se casser les dents, et il chantonna la bouche
pleine :
     
    Vive, vive
Napoléon
    Qui nous
baille
    De la volaille
    Du pain et du
vin à foison
    Vive, vive
Napoléon…
     
    Paradis se haussa au bord du chemin creux qui dissimulait sa
compagnie. Il vit un drapeau à fond jaune qui dépassait d’un coteau, puis des
casques de fer noir, des éclats de lumière sur les lames pointues des
baïonnettes, et bientôt une colonne d’uniformes blancs, puis une autre, une
autre encore, sans tambours, sans bruit. Paradis se laissa redescendre sur le
derrière au fond du chemin, et il parvint à articuler :
    — Les v’là !
    — Ça y est, les v’là d’nôt’côté, répéta le voltigeur
Rondelet à son voisin, qui le répéta, et la nouvelle courut jusqu’à Aspern,
chuchotée par les jeunes soldats.
    Ils se rangeaient en une dizaine de lignes, prêts à grimper
dans les prairies et les collines d’où venait le danger. Sans lever le ton, la
voix ferme, les officiers commandèrent aux trois premières lignes de prendre
leur position de tir pour barrer la route aux Autrichiens. Environ cinq cents
voltigeurs escaladèrent en silence les parois de terre et de pierraille ;
un genou dans l’herbe, derrière les buissons qui bordaient leur retranchement,
ils épaulèrent en pointant leurs armes vers les collines. Dans leur dos, des
camarades se préparaient à les remplacer dès qu’ils auraient tiré, pour leur
laisser le temps de recharger et assurer la continuité du feu.
    — Pas d’impatience ! ronchonnait l’adjudant
Roussillon. Laissez-les approcher…
    Les voltigeurs baissèrent leurs fusils.
    — Quand ils auront atteint le petit arbre rabougri
(vous le voyez ? À cent cinquante mètres…), alors on pourra y aller !
    Plus loin sur leur droite, à mi-distance du village, on
apercevait les shakos d’une autre compagnie après les murettes et sous la
grange d’une grosse ferme en pierres maçonnées. Molitor avait disposé ses
troupes en profitant de tous les accidents du terrain, même des levées de boue
séchée que les paysans avaient installées pour se protéger des inondations.
Paradis se sentit d’un coup très calme. Il s’absorbait dans l’observation de
ces colonnes blanches, ordonnées, lentes, presque immatérielles, qui marchaient
pourtant droit sur lui, puis qui s’évanouirent au détour d’un coteau, comme si
elles s’y étaient englouties. Le sol tourmenté, près du Danube, gâchait les
perspectives et ces bougres d’Autrichiens le savaient.
    Il était treize heures, il faisait chaud, quand retentirent
des coups de fusils isolés du côté de la ferme. Les soldats restaient crispés,
leurs armes vers le sol, les yeux rivés sur un horizon mouvant et cette
dernière colline d’où pouvaient surgir à chaque seconde les tirailleurs de
l’Archiduc. Où restaient-ils, Bon Dieu ! Ils sortirent brusquement dans
l’herbe haute, en lignes obliques et parfaitement ordonnées, avec leurs longues
guêtres grises, leurs tenues propres et toutes semblables, pointant leurs
baïonnettes d’un même mouvement comme pour une parade, et Paradis baissa les
yeux sur ses pantalons déjà déchirés par les ronces ; Rondelet, lui,
portait une veste civile sous son baudrier blanchi à la craie ; l’officier
qui les conduisait n’avait plus de chapeau et ses joues étaient crayonnées par
une barbe de deux jours. En face,

Weitere Kostenlose Bücher