Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
pour ramasser la lettre de Lejeune,
qu’il défroissa et ne put lire.
    — Vous comprenez l’allemand, lieutenant ?
    — Ah non, Monsieur Beyle, désolé. Je baragouine
l’espagnol, ça d’accord, rapport au séjour qu’on a fait avec le colonel dans
cette fouterie de rébellion, mais l’allemand, non, j’ai pas encore eu le temps.
    Et il assomma Henri de considérations sur la difficulté de
cette langue.
     
    Vincent Paradis avait le sommeil peuplé de songes candides,
à peine des rêves, des images plutôt, toujours les mêmes qui le ramenaient au
village, lui montraient ses collines, la cour mal entretenue de la ferme où son
père touillait des feuilles avec des détritus pour préparer l’engrais. On
vivait de ce qui poussait dans le champ et suffisait selon les années. L’an
passé on avait tué le cochon ; un événement si rare était mémorable, les
voisins avaient participé, on avait découpé la bête pour en garnir le saloir.
C’est le maire qui avait offert le sel, et lui, comme il ne savait pas remplir
les registres, il vous mettait à l’abri de ces messieurs de la ville, surtout
de l’un d’eux qui avait dans l’idée d’assécher les marais. Dans cette campagne
on connaissait la monotonie et la mort naturelle, et puis ce furent les
gendarmes, les soldats qui venaient cueillir les plus costauds pour la guerre.
Comme son frère aîné, Vincent avait tiré un mauvais numéro, et sa famille
n’avait pas un sou pour lui offrir un remplaçant. Il avait hésité à imiter son
ami Bruhat qui besognait à la tannerie et avait inventé le moyen de rester au
pays ; il montrait en riant une bouche édentée : « Ouais, je m’suis
arraché tout jusqu’aux gencives, tu vois, parce que sans dents on peut pas
déchirer les cartouches et on veut plus d’toi ! » Vincent avait suivi
les sergents avec ennui et docilité.
    — Hé ! Debout, limace !
    Vincent Paradis sentait une galoche qui lui donnait des
coups sur l’épaule ; il ouvrit les yeux en bâillant pour voir l’infirmier
Morillon qui dirigeait le bataillon des soldats d’ambulance où il avait été
incorporé la veille, sur ordre du docteur Percy.
    Paradis se redressa en s’appuyant sur ce qui lui avait servi
d’oreiller ; il réalisa que c’était un mort mais cela ne lui fit aucune
émotion car il en avait déjà vu des tas ; il marmonna seulement :
« Dors en paix, mon camarade, et p’têt à tout à l’heure… » Sans armes
à trimbaler il se trouvait léger, il suivit Morillon comme il avait naguère
suivi les sergents qui l’enrôlaient. Le bataillon des ambulances était formé de
lourdauds et de cette canaille des grandes villes qui ferait n’importe quoi
pour une pièce d’or, car le docteur Percy les payait de sa poche pour les
employer à son gré. En file, ils allaient marcher derrière un char à grosses
roues pour y déposer les blessés de la bataille. Deux infirmiers les
accompagnaient pour trier les moribonds : les plus gravement touchés
seraient dirigés vers l’ambulance à l’entrée de la petite forêt, les autres on
les évacuerait sur l’île. La troupe traversa des rangs d’éclopés qui s’étaient
rassemblés sur les rivages. Le vent les couvrait de poussière. Ils se
protégeaient du soleil fort avec des feuilles de roseaux. Quelques-uns se
traînaient au Danube pour y vomir, d’autres étaient secoués de spasmes ;
ils étaient des centaines, ils gémissaient, ils criaient, ils râlaient, ils
bredouillaient des phrases incompréhensibles, ils déliraient, ils essayaient de
vous attraper le pantalon d’une main faible, ils vous insultaient, ils
voulaient en finir d’une façon ou d’une autre et voilà pourquoi on avait écarté
toutes les armes en état de fonctionner, les épées, les baïonnettes, les
couteaux avec lesquels ils se seraient volontiers ouvert les veines pour ne
plus souffrir et disparaître.
    Les ambulanciers et leur char longèrent le fleuve jusqu’à
Essling où, à défaut de sortir à l’attaque, la division du général Boudet avait
entrepris de se barricader. Du côté de la plaine le village retranché offrait
une espèce de muraille. Meubles, matelas, fûts brisés et cadavres pêle-mêle
montaient à la hauteur du premier étage des maisons en maçonnerie crevées par
les boulets, et dont on avait pendant la nuit colmaté les ouvertures avec des
herses et des gravats. Les derniers blessés attendaient sous les arbres de la
rue principale,

Weitere Kostenlose Bücher