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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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les blés et le jeune Louison les menait comme un
troupeau d’oies, en improvisant une sarabande fatigante sur son gros tambour.
Lejeune avait le cœur lourd mais il sourit. Cela lui rappelait l’aventure de
Guéhéneuc après la victoire d’Eckmühl ; ce colonel allait porter un
message quand il tomba sur un régiment de la cavalerie ennemie, égaré dans la
nuit, qui s’était aussitôt rendu ; l’Empereur s’en était amusé :
« C’est vous Guéhéneuc, vous tout seul qui avez encerclé la cavalerie
autrichienne ? » Mais derrière les prisonniers de ce matin venaient
les hommes de Lannes, hirsutes et fanfarons, vêtus de dépouilles comme des
brigands, qui portaient en fagots les fusils confisqués et traînaient cinq
canons intacts, des caissons attelés, des gibernes bourrées de cartouches, un drapeau
troué.
    Lejeune continua son chemin vers la ligne du front, très
avancée puisqu’on apercevait au loin des chasseurs à cheval au hameau de
Breintenlee, où ils flanquaient le feu. Le maréchal Lannes était assis sur un
fût d’artillerie sans roues. Il dirigeait sa bataille en distribuant des ordres
de circonstance à ses aides de camp qui couraient les porter à Saint-Hilaire,
Claparède ou Tharreau.
    Quand Lejeune mit pied à terre, Lannes fronça les sourcils
et s’écria :
    — Ah ! Voilà le colonel catastrophe !
    — Je crains que Votre Excellence n’ait raison.
    — Dites.
    — Votre Excellence…
    — Dites ! J’ai l’habitude d’entendre des horreurs.
    — Vous devez suspendre l’attaque.
    — Quoi ? Répétez-moi cette idiotie !
    — L’offensive est interrompue.
    — Encore ! Il y a une heure à peine, votre compère
Périgord m’a demandé la même chose, pour réparer ce pont du diable qu’un radeau
enflammé avait esquinté ! Il est construit en paille, votre pont ?
    — Votre Excellence…
    — Vous savez ce qui s’est passé, Lejeune ? En face
ils se sont reformés au premier répit, et il a fallu recommencer notre percée,
et on a recommencé, et on a laissé des bonshommes sur le terrain, mais on a une
nouvelle fois dissipé les Autrichiens ! Là, il faut s’asseoir et regarder
les pantins de Hohenzollern se refaire une santé ?
    — L’Empereur ordonne un repli sur Essling.
    — Hein !
    — Cette fois c’est plus grave.
    Lejeune expliqua les derniers événements à Lannes.
Décontenancé, le maréchal s’exaspéra :
    — Nous tenions la victoire ! Nous la tenions, vous
dis-je ! Une heure de plus, l’appui de Davout, et c’en était fait de
l’Archiduc…
    Puis il dicta ses ordres aux aides de camp :
    — Que Bessières ramène la cavalerie entre les villages,
que Saint-Hilaire et les autres se retirent en ordre, mais lentement, pour ne
pas montrer notre volte-face, comme si nous avions une nouvelle stratégie,
comme si nous espérions des renforts imminents ou laissions notre artillerie se
déployer dans la plaine. Il faut intriguer les Autrichiens et ne pas les
réjouir.
    Il se leva pour regarder ses officiers qui partaient
communiquer l’ordre funeste, puis il s’avisa que Lejeune n’avait pas
bougé :
    — Merci, colonel. Vous pouvez retourner à l’état-major.
Si vous vous en sortez, et qu’un jour vous racontiez notre histoire un peu
folle, je vous permets de dire que vous avez vu le maréchal Lannes désarmé, oh,
pas au combat, bien sûr, mais par un ordre. Il suffit d’un mot pour atteindre
un soldat. Qu’en pense Masséna ?
    — Je n’en sais rien, Votre Excellence.
    — Il doit enrager comme moi, mais il est moins emporté
et gueulard. Il ne montre rien. À moins qu’il s’en fiche…
    Lannes inspira à s’en bomber le torse :
    — Je veux que ce repli soit un modèle du genre. Courez
le dire à Sa Majesté.
    Lejeune s’éloigna en laissant le maréchal Lannes debout dans
les blés. Il pensait que cette bataille n’était pas ordinaire, qu’on s’exaltait
et déchantait trop souvent et que cela portait sur les nerfs. L’action se
diluait. Il faisait déjà très chaud. Lejeune avait envie de s’étendre pour une
longue sieste. Comme il aurait aimé Vienne, s’il y était venu en simple
voyageur. Il entendit résonner dans ses oreilles l’allemand chanté d’Anna
Krauss. Quand la guerre serait finie, ils iraient ensemble à l’Opéra. Son
cheval sautillait entre des cadavres indifférenciés.
     
    L’ordonnance du colonel Lejeune dévorait comme un glouton
une volaille froide. Après

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