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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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torrent. Muet, plus accablé
que contrarié, l’Empereur gardait ses mains dans le dos mais y serrait une
cravache. Ce matin la situation lui avait été favorable, l’offensive
efficace : Lannes mettait en déroute le centre autrichien et poussait loin
ses incursions ; Masséna et Boudet attendaient avec leurs divisions de
sortir des villages. L’Empereur, dans ces immenses plaines, ne pouvait plus
appliquer son habituelle stratégie. La surprise, la rapidité, il les avait
essayées en surgissant de la Lobau, il avait même été au bord de la victoire,
mais la guerre changeait ; comme sous les rois, une bataille se jouait
artillerie contre artillerie, régiment contre régiment, avec des masses qu’on
jetait sur des masses, toujours plus d’hommes, toujours plus de cadavres,
toujours plus de mitraille et de feu. Sur l’autre rive, il rageait de voir ce
supplément d’hommes qui lui manquait, l’armée de Davout à l’arrêt avec ses
canons inutiles, ses chariots de poudre et de vivres, ces colonnes désœuvrées.
    À quelques pas derrière, gênés, inquiets, Berthier et un
groupe d’officiers n’osaient un mot ni un geste. Ils espéraient l’ordre
fulgurant, l’idée qui renverserait le sort. Lejeune était parmi eux, décoiffé,
sans shako, l’uniforme défait. Sans se tourner, fasciné par ce pont trop
fragile et trop long qui le narguait, l’Empereur appela :
    — Bertrand !
    Discret et dévoué, le général comte Bertrand s’avança près
de lui, le chapeau sous le bras, et il se mit au garde-à-vous. L’Empereur avait
décidé de l’endroit où le pont avait été jeté, lui seul avait déterminé le
délai nécessaire à sa construction, mais il voulait sans cesse nommer des
responsables et Bertrand dirigeait le génie.
    —  Sabotatore  !
    — Sire, j’ai exécuté vos ordres à la lettre.
    — Traître ! Voyez-le, votre pont !
    — En une nuit, Sire, nous ne pouvions établir un
meilleur ouvrage sur ce fleuve difficile.
    — Traître, traître ! (et aux autres :) Ha
agito da traditore  ! Et vous aussi ! Tous ! Vous me
trahissez !
    Personne ne répondit car c’était inutile. Il fallait que
l’Empereur passe sa colère.
    — Bertrand !
    — Sire ?
    — Combien de temps pour réparer votre sabotage ?
    — Au moins deux jours, Sire…
    — Deux jours !
    Bertrand reçut en pleine figure un vigoureux coup de
cravache. L’Empereur respirait fort. Il marcha vers son cheval et demanda à
Berthier de le suivre, d’un geste impatient de la main.
    — Vous avez entendu les insolences de ce foutu
Bertrand ?
    — Oui Sire, dit Berthier.
    — Quarante-huit heures ! Où est l’Archiduc ?
    — Dans son camp du Bisamberg, Sire.
    — Mmmm… Il va vite apprendre notre malheur.
    — Dans une heure ou deux, certainement. Et il va en
profiter pour envoyer contre nous l’ensemble de ses réserves.
    — Sauf si nous persévérons à l’attaquer,
Berthier ! Lannes est en excellente position, il a désorganisé la
piétaille de Hohenzollern !
    — Mais nous allons manquer de munitions.
    — Davout peut nous ravitailler par barques.
    — En petites quantités, Sire, avec des risques de
chavirer.
    — Alors ordonnons le repli.
    — Si nous reculons, Sire, les armées de l’Archiduc se
reforment.
    — Et si nous ne nous replions pas, l’Archiduc
intervient sur nos flancs mal protégés, c’est le massacre ! Il faut se
replier.
    — Où, Sire ? Dans l’île ?
    — Bien sûr ! Pas dans le Danube, idiot !
    — Il est impossible de passer à temps une cinquantaine
de milliers d’hommes, avec les canons, le matériel, avant que les Autrichiens
ne nous surprennent à revers par les bords du fleuve.
    — Replions-nous d’abord sans hâte vers nos positions de
la nuit. Masséna et Boudet se retranchent dans leurs villages, Lannes tient le
glacis. Quand la nuit sera tombée, nous nous enfermerons sur l’île.
    — Il faut donc tenir pendant dix heures…
    — Oui !
     
    Une fois de plus, à neuf heures du matin, le colonel Lejeune
galopait sans joie dans les moissons ; il allait porter au maréchal Lannes
son ordre de repli.
    Il croisa un cortège de prisonniers autrichiens qui marchait
en sens inverse, tout un bataillon de fusiliers sans chapeaux et sans armes, la
tête basse, certains balafrés, un pansement sommaire autour du crâne ou le bras
en écharpe ; quelques traînards suivaient en boitillant avec du sang aux
guêtres. Ils passaient dans

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