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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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lui.
    —J'ai demandé à l'abbé Gauthier de se joindre à nous pour prendre des notes. Si vous voulez bien vous asseoir.
    L'archevêque désigna trois fauteuils placés les uns près des autres. Le comte Grey réprima un sourire en voyant le revêtement de peluche rouge sombre, assorti au papier peint des murs et aux lourds rideaux aux fenêtres. La petite pièce paraissait vouée au sang à demi coagulé. Bégin se plaisait sans doute à rêver de la pourpre cardinalice, dans un décor pareil.
    Une religieuse âgée fit une entrée discrète, se planta près d'eux, le temps que l'ecclésiastique demande :
    —    Accepteriez-vous de boire quelque chose ?
    —    Non merci.
    D'un geste de la main, le prélat congédia la domestique, puis déclara de sa voix onctueuse :
    —    Excellence, que puis-je faire pour vous ?
    —    Nous avons recruté la plupart des volontaires pour interpréter les rôles des principaux personnages de l'histoire canadienne. Cependant, il manque la pierre angulaire, et vous seul pouvez nous tirer d'affaire.
    —    ... Vous me voyiez extrêmement surpris. Tous les journaux, depuis quelques jours, soulignent le brio de William Price, qui a su mobiliser toute une armée de comédiens.
    L'industriel étant conservateur, candidat probable aux élections prévues pour l'automne suivant, L'Evénement, le Chronicle et L'Action sociale catholique l'avaient porté aux nues pour son succès du 10 juin.
    —    Nous avons identifié tout le monde, sauf ceux qui furent au cœur de l'histoire de l'Amérique française: les membres de l'Église. Demander à des laïcs de jouer le rôle de personnes consacrées à Dieu me paraît... déplacé. Je vous prie donc de choisir vous-même ceux qui endosseront ces rôles.
    Le vice-roi se montrait habile. L'archevêque ne pouvait lui dire non, autrement il assumerait seul, aux yeux du Royaume-Uni, du Canada anglais et de ses propres ouailles, de plus en plus entichées de ces représentations théâtrales, la responsabilité d'un échec. Cela vaudrait une déclaration de guerre.
    Le prélat demeura un moment songeur, puis il esquissa un sourire contraint en déclarant :
    —    Il semble que ma collaboration soit absolument nécessaire à la réalisation de vos projets.
    —    Tellement nécessaire que je vous demandais encore, en janvier dernier, d'inclure les fêtes consacrées à monseigneur de Laval dans celles du tricentenaire.
    —    Vous savez bien que les deux célébrations poursuivent des fins opposées. Toute votre mise en scène cherche à faire des Canadiens français les plus fidèles sujets de l'Empire. Nous organisons une commémoration de l'Amérique catholique et française.
    —L'un et l'autre peuvent très bien aller ensemble, murmura le gouverneur général, si bas que le secrétaire de l'archevêque laissa
    une ligne blanche dans son compte rendu.
    L'ecclésiastique adopta le même ton de conspirateur amusé pour remarquer :
    —Cela, l'histoire le dira, mais ni vous ni moi ne le verrons. Les célébrations du triduum consacré à de Laval, poursuivit-il à voix haute, vont réunir toutes les sociétés nationales du Canada français, tous les dignitaires de l'Église...
    «Ce sera une grand-messe, présidée par saint Jean-Baptiste lui-même, venu du ciel pour l'occasion», compléta mentalement le comte Grey. Malgré ses protestations, l'archevêque Bégin demeurait tout de même condamné par les circonstances à lui accorder son aide. Après un long moment de silence, il céda, pour déclarer cette fois en anglais :
    —Excellence, je vais faire savoir à tous les prêtres de mon diocèse qui désirent tâter du théâtre patriotique qu'ils seront bien accueillis par monsieur Lascelles. Comme cette discipline rencontre un succès considérable dans nos collèges, je ne doute pas que vos effectifs seront complets dans trois jours.
    —Je vous remercie infiniment. Grâce à eux, l'Église catholique occupera toute la place qui lui revient.
    Un silence embarrassé suivit ces mots. À la fin, Frank Lascelles prit sur lui de demander :
    —Dans le cas des religieuses...
    —Les Ursulines forment un ordre cloîtré. Jamais je ne les autoriserai à se mêler à une manifestation théâtrale.
    Le prélat ne précisa pas que les religieuses hospitalières pouvaient, sans déroger à leurs vœux, côtoyer les fidèles. Toutefois, impossible de courir le risque de les mêler à des centaines d'hommes laïcs. Le comte

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