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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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à recourir aux services d'une femme pour occuper ce poste par souci d'économie, il se promettait maintenant d'être l'un des derniers à préférer un homme.
    —    Dites-lui d'entrer.
    Tout de suite, Emile Buteau pénétra dans la pièce, un air onctueux sur le visage.
    —Je m'excuse de venir ainsi, sans rendez-vous.
    Rien, dans son ton, ne témoignait de bien grands regrets. Les paroissiens adaptaient leur horaire à celui de leur pasteur, jamais le contraire. Thomas le laissa debout un bref moment, pour le plaisir de voir fondre un peu son assurance, puis se leva comme à regret pour lui serrer la main. Fulgence Létourneau fit de même avec un empressement destiné à faire oublier le sans-gêne de son patron. Finalement, le marchand lui désigna l'une des deux chaises placées devant son bureau.
    Le gérant des ateliers déclara, en faisant mine de sortir :
    —Je vais vous laisser seuls. Monsieur Picard, dois-je attendre à côté ?
    —    Monsieur, vous êtes bien responsable des ateliers de la Pointe-aux-Lièvres ? questionna le prêtre.
    —    ... Oui, c'est moi, admit le petit homme, hésitant, comme si cette confession lui coûtait.
    —    Dans ce cas, mieux vaudrait que vous entendiez ce que je veux dire à votre employeur. Cela peut toucher aussi votre personnel.
    Létourneau reprit sa place sur sa chaise, alors que Thomas regagnait son fauteuil. Après un moment de silence, ce dernier déclara, une pointe d'impatience dans la voix :
    —    Monsieur le curé, vous ne nous ferez pas languir, n'est-ce pas ?
    —    Non, non, bien sûr. Savez-vous ce qu'est un triduum ?
    —    Quoique simple laïc, les frères des Ecoles chrétiennes m'ont enseigné quelques mots de latin : trois jours consécutifs de célébrations religieuses. On parle du triduum de Pâques, avec les vendredi et samedi saints, puis le dimanche.
    —    Ce sera aussi le cas pour les 21, 22 et 23 juin prochains. Le dimanche, une messe solennelle soulignera la Fête-Dieu, le lundi, la commémoration en l'honneur de monseigneur de Laval, puis la Saint-Jean-Baptiste le mardi, que l'on célébrera une journée à l'avance, pour plus de commodité.
    Thomas acquiesça d'un signe de tête. L'idée de tenir les festivités de la fête nationale le mardi, plutôt que le mercredi, agréait à tout le monde. Leur arrimage avec le second centenaire de la mort du premier évêque du Canada leur donnerait toutefois une ampleur particulière.
    —    De plus, Sa Sainteté Pie X a eu la généreuse idée de faire de saint Jean-Baptiste le patron des Canadiens français.
    —    La nouvelle nous en est venue aussi à la basilique Notre-Dame, par la bouche de monseigneur Bégin. Depuis, nous avons appris que notre prélat avait formulé une demande en ce sens dès novembre dernier.
    La précision paraissait importante au marchand: l'initiative venait de Québec, dans le contexte d'une mobilisation « nationalo-religieuse », pas de Rome. À ses yeux, cela lui donnait moins de dignité, en quelque sorte.
    —    Ne pensez-vous pas que pour donner toute leur majesté à ces célébrations, tous vos employés, au magasin et dans les ateliers, devraient profiter d'un congé ?
    —    Le 23 juin?
    —    Le 22 et le 23, évidemment. La commémoration de la mort du père de l'Eglise canadienne mérite certainement aussi cette marque de respect.
    —    Souhaitez-vous priver toutes ces personnes de leur salaire ? Ce serait cruel.
    Quant à l'idée de payer ces journées, même le prêtre n'y songeait pas. Ce dernier n'osa pas dire que la nourriture nationale, puis spirituelle, compenserait bien la perte du tiers du salaire de la semaine. Il insista toutefois :
    —    Ces commémorations valent certainement de payer ce prix. Comme cela, tout le monde pourra assister lundi au dévoilement de la statue de monseigneur de Laval et à la messe mardi.
    «Tous mes employés des deux sexes doivent avoir autre chose à faire, un jour de congé, que se recueillir dans des offices religieux», songea Thomas, tout en ayant assez de bon sens pour conserver pour lui sa réflexion. A haute voix, il s'en tint plutôt aux raisons d'affaires :
    —    Voyez-vous, si un homme désire changer de chapeau lundi ou mardi prochain, je ne voudrais pas qu'il se heurte à des portes fermées.
    —    Il pourra revenir un peu plus tard, fit Buteau d'un ton léger. Acquérir un nouveau couvre-chef ne compte pas parmi les

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