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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pour aller les espionner quand ils se retrouvaient seuls dans la bibliothèque. J'ai vu Alice aller dans ta chambre, aussi.
    Le garçon fit une pause avant de remarquer, amusé :
    —    Tu vois, je la désigne par son prénom, car ma mère, ce n'est pas elle. Vous complotiez toutes les deux contre Elisabeth, je vous surveillais et je lui racontais tout.
    —    Petit salaud. Qu'est-ce qu'elle a pu te faire, pour t'entraîner à trahir la chair de ta chair?
    Cette fois, Edouard laissa échapper un rire bref, avant de commenter :
    —    Quelle prose ! Cesse de lire de mauvais romans sentimentaux, cela affecte ton vocabulaire. Ce sont eux qui t'ont fait rêver d'un beau prince avec un uniforme blanc. Le tien est arrivé sur un bateau de fer,, à la place d'un destrier immaculé.
    —    Va-t'en.
    —    Pas tout de suite, je n'ai pas terminé. La nuit de la mort d'Aliçe, j'ai eu envie de pisser. Mon voyage au petit coin a sans doute attiré l'attention de papa. J'ai dû heurter la lunette en la relevant. Je n'étais pas encore dans mon lit quand je l'ai entendu monter, pour aller dans la chambre de sa femme. Il devait être trois ou quatre heures du matin.
    Eugénie écarquillait les yeux, interdite. Son frère précisa encore :
    —    Si papa avait trouvé sa femme morte, il ne serait pas
    retourné se coucher en silence.
    —    ... Tu ne veux pas dire qu'il l'a tuée, tout de même ?
    —    Non, toi seule dérailles de cette façon. Cette femme sentait le cadavre depuis des semaines. Dans son cercueil, grand-maman Euphrosine semblait plus vivante qu'elle. Sa folie l'a tuée. Auparavant, elle a ravagé ton âme.
    Edouard quitta le lit pour se diriger vers la porte. Au moment de sortir, il ajouta :
    —    Cela ne t'a pas intriguée, pendant toutes ces années ? Papa n'a jamais prêté foi à tes accusations.
    —    Elle l'a ensorcelé.
    —    Au contraire, ta méchanceté ne faisait que les rapprocher. Cela tenait à un fait tout simple : il savait qu'Alice vivait, après la visite d'Elisabeth.
    Eugénie, plus pâle que jamais, mordait sa lèvre inférieure. Elle tenta :
    —    Tu mens. Si c'était vrai, il me l'aurait dit, pour faire taire mes soupçons.
    —    Pour que tu l'accuses à son tour, comme tout à l'heure?
    Le garçon posa la main sur la poignée de la porte, fit mine de sortir, puis se retourna :
    —    Pressée de quitter cette maison, tu t'es laissé engrosser par ton bel officier. Par fidélité pour une folle, tu as tenté de rendre la vie impossible à une femme attentionnée envers toi. Non, ce n'est pas tout à fait vrai, n'est-ce pas ? Au fond, tu rêvais d'occuper la place d'Alice dans le cœur de papa, puis cette magnifique blonde est arrivée pour te la ravir.
    Il ouvrit la porte doucement, regarda si quelqu'un se trouvait à portée de voix, puis chuchota encore :
    —    Dorénavant, ne me traite plus jamais d'idiot ou d'imbécile. Je pourrais te répondre.
    Eugénie regarda la porte se refermer. Avec une plainte animale, elle enserra ses jambes entre ses bras, écrasa ses seins contre ses cuisses relevées, posa le menton sur son genoux droit. Elle se réveillerait bientôt, sûrement, et constaterait que le jour de son retour au couvent était arrivé.
    Chapitre 25
    Le lundi matin, Thomas Picard revint à son commerce avec plaisir, heureux d'échapper à l'atmosphère morose de son domicile. Déjà, il lui fallait faire les commandes pour les vêtements et les chaussures d'hiver. L'excellente dernière saison lui faisait craindre un certain ralentissement. Bien des consommateurs devaient avoir surestimé leurs ressources dans l'enthousiasme des célébrations : ceux-là économisaient afin de se refaire.
    Vers dix heures, Fulgence Létourneau arriva avec une demi-douzaine de registres sous le bras. Pendant un long moment, le petit homme prit en note les quantités de robes, de pantalons, de manteaux qu'il conviendrait de faire confectionner dans les ateliers ou par des travailleurs à domicile.
    Il ferma le dernier registre un peu avant midi. Il allait se lever quand le patron demanda :
    —    Fulgence, vous n'avez toujours pas d'enfant?
    —    Non, pas encore.
    D'habitude, Thomas évitait prudemment d'aborder les questions privées avec ses employés. Cet accroc à ses habitudes le mettait mal à l'aise. Il continua :
    —    Avez-vous pensé à l'adoption ?
    —    ... Nous sommes allés chez les sœurs de la

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