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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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tout le moins, les miens ne le feraient jamais. Bien plus, j'exigerai qu'ils accordent ma main à quelqu'un de plus riche que papa.
    —    Comment peux-tu être certaine qu'il existe un tel candidat pour toi ?
    —    Cela va de soi.
    —    Comment cela ? Une bonne fée t'a promis toutes ses largesses, penchée sur ton berceau ?
    Eugénie prit un biscuit sur le plateau, les joues rosies par l'irritation qui couvait en elle, puis le reposa à sa place. A la fin, d'une voix blanche, elle murmura :
    —    Regarde ma belle-mère. Après un séjour chez les ursulines, elle est passée d'une ferme du comté de Champlain à une maison de la rue Scott, chez le plus important marchand de détail de Québec. Je compte bien faire mieux.
    —    Pour effectuer un saut d'égale proportion, tu devrais passer de la rue Scott au Mille carré doré, à Westmount. Tu maîtrises assez bien l'anglais ?
    L'humour d'Elise ne connut aucun succès, bien au contraire. Quelques mois après sa sortie du pensionnat, son engagement de ne jamais écorcher la charité chrétienne donnait des signes de fléchissement. Aussi la visiteuse poursuivit son attaque :
    —Je suppose que quelques jeunes gens, parmi les meilleurs partis de la ville, ont déjà parlé à ton père, pour te permettre d'afficher une pareille assurance sur le sujet.
    Cette fois, Eugénie accusa mal le coup. Pâle, elle posa sa tasse dans la soucoupe avant d'admettre :
    —    Non, personne encore.
    Selon les convenances, aucune jeune fille ne s'aventurait seule à l'extérieur du foyer sans être accompagnée d'un chaperon. Toutefois, dans les rues, dans les parcs, à la messe, dans les grands magasins, et plus souvent encore dans des rencontres familiales, des jeunes hommes la croisaient.
    Les usages exigeaient alors que le garçon demande à la jeune fille, avec toute la politesse nécessaire à une requête aussi délicate, la permission de la visiter chez elle. Après une réponse positive de sa part, le prétendant devait formuler la même prière à son père. Dans les milieux respectables, les fréquentations ne commençaient jamais autrement, et elles se déroulaient sous le regard attentif des membres de la maisonnée de la demoiselle.
    —    Et toi? contre-attaqua Eugénie après une longue pause, mais.sur un ton devenu infiniment moins suffisant.
    —    Un jeune médecin est venu à la maison. Il (ait son internat à l'hôpital où papa travaille.
    Même en affichant la plus grande modestie, surtout qu'elle soupçonnait son père d'avoir pris l'initiative d'inviter cet interne, plutôt que le contraire, le visage d'Élise trahissait un sentiment de fierté. Sa longueur d'avance sut son hôtesse s'avérait indéniable.
    —    Comment est-il ?
    —    Sérieux, plutôt gauche et empote.
    Formulé avec un demi-sourire, le verdict se révélait moins sévère qu'il n'y paraissait. L'arrivée d'Élisabeth dans l'embrasure de la porte permit à Eugénie de masquer la jalousie qui
    pointait en elle.
    —    Le repas est servi, annonça la maîtresse de maison. Tout semble indiquer que les hommes nous feront encore défaut. Élise, accepterez-vous de souper avec nous?
    —    Si cela ne vous dérange pas.
    —    Voyons, vous ne nous dérangez jamais.
    Ces derniers mots vinrent avec un petit sourire en coin pouvant signifier : « Depuis juin, vous êtes si souvent ici que nous mettons maintenant votre couvert tous les jours, à tout hasard.»
    Quelques instants plus tard, les grâces murmurées, l'hôtesse versa la soupe dans les assiettes. Au moment de s'asseoir, après leur avoir souhaité un bon appétit, elle demanda :
    —    Mademoiselle Caron, je suis un peu curieuse : à quelle heure vous levez-vous le matin ?
    La question sentait le piège. Eugénie fixa des yeux ceux de sa camarade, mais elle n'osa bouger les lèvres pour lui souffler le chiffre «dix». Une nouvelle fois, elle eut la preuve que même entre les deux meilleures amies du monde, la transmission de pensée avait des limites.
    —    Toujours aux environ de sept heures. Un peu plus tard si papa reçoit ses patients dans son cabinet, un peu plus tôt s'il doit se rendre à l'hôpital.
    —    Vous prenez toujours le petit déjeuner ensemble? Je veux dire toute la famille réunie ?
    —    Évidemment. Pourquoi ?
    Eugénie jouait du bout de sa cuillère dans sa soupe, les joues rougissantes.
    —    Pour rien, une simple curiosité. J'ai lu dans

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