la Bible au Féminin 03 Lilah
pas que le jour, il y a le moment…
— C’est pareil, assura Sogdiam. Tu viens tout le temps au même moment de la journée. Quoi ? Tu ne le sais pas toi-même ?
— Eh bien… Peut-être que non, admit Lilah avec étonnement.
— Moi, si, je le sais. Le matin je me lève et je le sais. Parfois le soir en me couchant. Je me dis : « Demain, dame Lilah viendra. » Et tu viens. Ezra aussi le sait. Il est comme moi.
D’une voix plus émue qu’elle ne voulait le laisser paraître, Lilah demanda :
— En es-tu certain ? Il te l’a dit ? Le garçon gloussa joyeusement.
— Pas besoin, Lilah. Le jour de ton jour, il se lave à grande eau, il se frictionne les dents avec de la chaux pour qu’elles soient plus blanches. Il me demande de lui passer le peigne dans les cheveux. Depuis tout ce temps que tu viens, tu n’as pas remarqué comme il est beau à ton arrivée ?
Sogdiam riait de si bon cœur que sa claudication en devenait plus lourde, plus maladroite. Lilah rit à son tour, se moquant d’elle-même pour masquer son émotion :
— Il faut croire que j’ai des yeux pour ne rien voir, Sogdiam. Quand je viens, je suis si occupée à m’assurer que vous ne manquez de rien que je ne dois pas être bien attentive.
Le garçon approuva d’une moue, admettant avec doute que cela puisse être une raison valable.
Ils marchèrent un moment en silence, traversant des ruelles, longeant ici ou là de maigres jardins.
Dispersées au hasard des sentes, les maisons de la ville basse n’étaient pour la plupart que huttes de jonc et de boue. Parfois, elles se limitaient à des palmes grossièrement tressées et tendues sur des pieux en guise de toit, sans même de murs. On les appelait des « zorifés ». Des femmes, la tunique tiraillée par une jeune marmaille, s’affairaient autour des foyers parcimonieusement entretenus.
Malgré la saleté des ruelles, l’eau croupie qui les rendait infectes après les pluies, Lilah avait toujours refusé de s’y aventurer en attelage. Les bancs sculptés du char, tapissés de coussins, les têtes d’essieux sertis d’argent et de cuivre à eux seuls valaient plus que cent masures de cet entassement miséreux.
De temps à autre, des yeux inquisiteurs les suivaient. Chacun savait depuis longtemps qui était cette belle jeune femme, où elle allait en compagnie du garçon qui portait le lourd couffin. Hommes ou femmes admiraient avidement la qualité de sa tunique, sa coiffure élégante, ses socques de cuir à la pointe recourbée remontant sur ses mollets. Sa démarche même était différente de celle des femmes de la ville basse. Elle avançait, plus vive, plus légère. Avec un balancement des hanches qui faisait songer aux danses, aux fêtes, aux banquets, à la musique et aux chants amoureux du crépuscule. En un mot, à la beauté, tout simplement, et au ravissement que pouvait représenter, pour d’autres, le monde.
Aussi souvent qu’ils aient eu l’occasion d’admirer Lilah, les habitants de la ville basse ne s’étaient jamais lassés du spectacle. Lilah était pour eux le mirage de ce qu’ils ne connaîtraient jamais.
La plupart n’avaient jamais pénétré dans Suse-la-Ville, d’où les soldats les chassaient brutalement. Encore moins avaient-ils approché Suse-la-Citadelle. Tout au plus pouvaient-ils, d’ici, par-dessus les toits des taudis et, plus loin, au-delà des jardins et des belles demeures de Suse-la-Ville, deviner l’enceinte et les colonnades de l’Apadana. Découpée dans le ciel du matin, la Citadelle semblait jouxter les nuages épars, ainsi que le devait la demeure des dieux et du Roi des rois !
Femmes et hommes avaient interrogé Sogdiam, lui demandant si la dame du « sage Juif », comme on appelait ici Ezra, habitait la Citadelle. Sogdiam était si fier qu’on pût le penser qu’il répondait que oui. Oui, une femme aussi belle que Lilah ne pouvait vivre que dans la Citadelle !
*
* *
Sogdiam déposa avec soulagement le couffin devant la porte de la maison.
— Ezra étudie sûrement encore, souffla-t-il en poussant avec précaution le ventail peint de bleu pour qu’il ne grince pas.
La maison était presque un palais, comparée aux masures qui l’entouraient. Les murs, dressés en briques crues, soutenaient un toit de palme recouvert de terre bitumée qui protégeait également du froid et de la canicule. Trois petites pièces carrées ouvraient sur une cour. Une tonnelle où serpentait un
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