la Bible au Féminin 03 Lilah

scrutèrent. Des yeux vifs qui contrastaient avec l’usure du visage, les mille rides du front et des joues. Malgré son grand âge, les cheveux de maître Baruch étaient demeurés sombres. Les boucles de sa barbe, aussi blanches, elles, que la laine d’un agneau, couvraient sa poitrine. On y distinguait à peine les lèvres, minces et fripées, révélant quelques chicots dans leur sourire.
    — Lilah, ma colombe ! Que l’Éternel te bénisse. La voix était faible, rauque, mais joyeuse.
    Maître Baruch repoussa un peu plus la couverture.
    Ses mains ne semblaient plus être que des os retenus ensemble par la peau lustrée, tavelée, qui les recouvrait encore. Elles serrèrent celles de Lilah avec une force et une douceur qui chaque fois la sidérait. S’inclinant avec tendresse, elle baisa le front du vieillard.
    — Bonjour, maître Baruch ! Ezra me dit que vous êtes malade.
    Un étrange grincement résonna. La bouche de maître Baruch s’ouvrit toute grande. Les plis de sa gorge tressautèrent tandis qu’il refermait les paupières. Il riait.
    Reprenant son souffle, il murmura sans rouvrir les yeux :
    — Ezra est plein d’indulgence et plein de jeunesse ! Ezra est si assuré que l’Éternel va faire de moi un « patriarche » qu’il me croit malade ! La vérité, ma colombe, c’est que je ne suis pas du tout malade.
    Il s’interrompit, serrant à nouveau les mains de Lilah. Les paupières découvrirent une fois de plus le regard ironique et perçant.
    — J’ai seulement l’âge de ma mort, ma colombe. L’Éternel ne partage pas l’avis d’Ezra ! Il ne veut pas faire de moi un nouveau Noé, ni un Abraham. Je ne vivrai pas trois cents années. Baruch ben Neriah je suis, Baruch ben Neriah je mourrai. Et bientôt !
    Dans le dos de Lilah, Ezra s’impatienta :
    — La vérité, mon maître, c’est aussi que tu as eu mal au ventre toute la nuit.
    — Le mal de ventre n’est rien, répliqua maître Baruch d’une voix plus ferme. Le mal de ventre, tu nais avec et tu vis avec. Le mal de ventre, moi, je le connais depuis près de cent ans. Ce qui est triste et qui transforme mon sang en eau, ce qui raccourcit ma vie, c’est de savoir que je ne verrai jamais Jérusalem relevée de sa honte. Je mourrai alors que la ville choisie par Yhwh est toujours béante et offerte à ses ennemis. Savoir que les Ammonites et les Asdhodites dansent sur les ruines du Temple, voilà ma maladie, ma colombe. Voilà la punition que m’inflige l’Éternel.
    Lilah fronça les sourcils et protesta :
    — Pourquoi dites-vous cela, maître Baruch ? Ces malheurs sont finis. Voilà longtemps que Néhémie a redressé le Temple et que Jérusalem vit dans la loi de Yhwh ! C’est vous-même qui nous l’avez appris, à Ezra et à moi, lors de votre arrivée parmi nous.
    Le vieillard dressa ses paumes en signes véhéments de protestation, comme si une lame de douleur l’emportait.
    — Oublie ces paroles naïves, ma fille ! N’alourdis pas ma faute devant l’Éternel.
    Lilah se tourna vers Ezra, le visage empli d’incompréhension.
    — Ainsi, tu ne connais pas la nouvelle, constata Ezra, l’œil noir. Ça ne m’étonne pas ! Ce n’est pas chez l’oncle Mardochée que l’on va s’en soucier.
    Avec un frisson d’inquiétude, Lilah ne put s’empêcher de songer à la tablette d’Antinoès.
    — Quelle nouvelle ? demanda-t-elle.
    — Néhémie, fils d’Hakalya, est mort depuis cinq ans au moins. Et il a échoué.
    — Oh !
    Son soulagement n’échappa pas à Ezra. Elle sentit le rouge lui colorer les joues.
    La voix de maître Baruch s’éleva, cette fois forte et nette :
    — À Moïse, Yhwh a dit : « Vous reviendrez vers Moi, vous observerez Mes ordres, selon eux vous agirez – Et même si vous êtes bannis jusqu’aux confins sous le ciel, de là Je vous assemblerai et Je vous amènerai vers le lieu que J’ai choisi pour y faire résider Mon nom. » C’est avec ces mots à l’esprit que ce Néhémie, fils d’Hakalya, a quitté Suse-la-Citadelle. Voilà ce qu’il nous faut porter en notre cœur.
    L’index du vieillard pointait vers la poitrine de Lilah. Ses iris clairs n’étaient plus souriants ou ironiques, mais durs et tout palpitants de colère.
    — Et voilà cinquante-quatre années que Néhémie est parti pour Jérusalem afin d’y rétablir la volonté de Yhwh. Et tout ce qu’il y a rétabli, ce sont des piles de briques !
    Ezra intervint :
    — Durant