La bonne guerre
cours des deux dernières années, ils ont tout fait pour
que j’accepte de me faire amputer du bras gauche, et ces six, sept derniers
mois je n’ai pas cessé d’être malade. En mars, à mon retour de Washington, j’ai
essayé de consulter un médecin de l’hôpital militaire. Ils n’ont jamais voulu
me laisser voir quelqu’un sous prétexte que je n’avais pas de rendez-vous.
Je suis donc allé dans une clinique privée. Et après avoir
subi deux opérations en urgence, dans cette clinique, à trente jours d’intervalle,
ils ont découvert que j’avais un cancer de l’intestin et du foie, maintenant
généralisé. Pendant tout ce temps, j’ai essayé auprès des services des anciens
combattants de faire reconnaître la responsabilité des autorités militaires
dans ma maladie. Ça fait six fois que ma demande est rejetée.
Ils reconnaissent que j’ai été exposé à des radiations, mais
ils prétendent qu’elles n’ont pas été suffisantes pour entraîner des séquelles.
Leur docteur m’a déclaré qu’il n’était pas possible que ce soient les
radiations auxquelles j’ai été exposé qui aient créé ce problème. De mon côté j’ai
consulté trois médecins qui ont dit que j’avais été exposé à des radiations de 1 000
à 1 800 rads. Et leur médecin de l’université de Stanford prétend que l’œdème
que j’avais quand j’étais encore dans l’armée n’avait rien à voir avec celui
que j’ai maintenant.
Je ne leur en veux pas, je leur pardonne. Mais je ne
parviens pas à comprendre pourquoi ils n’ont pas découvert que j’avais un
cancer. Un cancer ne vous vient pas comme ça du jour au lendemain. Pendant un
bon bout de temps, j’étais vraiment confiant dans cet hôpital militaire. Mais
en fait, là-dedans, vous ne pouvez entrer que dans deux catégories : les
alcooliques ou les drogués. Moi, je ne bois pas du tout. Je suis ce qu’on peut
appeler un bon chrétien. Je sais que je ne l’ai pas toujours été, mais il n’empêche
que ça fait quinze ans que je n’ai pas touché une goutte d’alcool. La première
fois que je suis allé à l’hôpital militaire, c’était en 1975, s’ils avaient
trouvé mon cancer à ce moment-là il me resterait peut-être encore quelques
jours de plus pour profiter de la vie sur cette bonne vieille terre.
Non, ce n’est pas de l’amertume, je suis fier de notre
manière de vivre. Je suis fier de notre Constitution, et je suis prêt à me
battre n’importe quand pour la défendre. Si demain on m’appelait, j’irais, et
je me battrais. Ce n’est pas ça que je mets en cause. Ce que je mets en cause c’est
le fait que l’administration des Anciens combattants a toujours promis que tous
les vétérans qui tombaient malades ou se retrouvaient sans le sou seraient pris
en charge.
Dans ces hôpitaux les médecins sont surchargés de travail et
sous-payés, et quand vous discutez avec eux vous vous rendez compte qu’ils sont
vraiment aigris envers le gouvernement. On ne peut pas leur en tenir rigueur. Je
crois qu’ils font ce qu’ils peuvent, mais qu’ils n’en font pas davantage. Là-dedans
vous êtes un numéro, c’est tout, ou alors, comme je vous le disais, un alcoolique
ou un drogué.
C’est la faute de l’administration des Anciens combattants
et du Congrès. Le Congrès ne s’est jamais préoccupé de changer la loi depuis
1946. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils ont la trouille de mettre le pied
dans un engrenage qui ferait ressortir d’autres problèmes. Tout ce que les
vétérans des essais atomiques veulent c’est que ceux qui sont malades soient
soignés, et un minimum de reconnaissance.
Je touche ce qu’ils appellent une pension d’invalidité sans
relation avec le service de cinq dollars par mois.
Cinq dollars par mois ?
C’est parce que ma femme travaille, et qu’elle gagne plus
que le plafond, qui est de 4 800 dollars par an.
La perte de vos deux jambes n’est pas considérée comme
étant liée au service ?
Effectivement. Et maintenant, ils veulent m’amputer de mon
bras gauche parce qu’il a été jusqu’à cinq fois plus gros que ça. Il était très
lourd, affreusement lourd, et monstrueusement difforme. Maintenant, je le
surveille de très près, j’ai peur que la gangrène s’y mette, parce que je
maigris beaucoup. J’ai perdu quarante kilos avec cette dernière histoire. Avant
j’étais un vrai costaud, et j’avais une forme du tonnerre. 103 kilos pour
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