La bonne guerre
un
mètre quatre-vingts, maintenant je ne pèse plus que 57 kilos.
Quand ils n’ont pas voulu m’admettre à Bethesda, des
Japonais en ont entendu parler. J’ai reçu une lettre d’un médecin japonais qui
me disait que si je pouvais me rendre au Japon, ils m’appliqueraient leurs
traitements les plus avancés dans ce domaine. Les journaux locaux et la radio
se sont emparés de l’affaire, et une grande souscription a été ouverte pour
envoyer John Smitherman au Japon. Les habitants de deux comtés, Moore County et
Lincoln County, ont vraiment fait tout ce qu’ils ont pu, si bien qu’ils ont
récolté 8 200 dollars.
Le 28 juillet 1982 je me suis envolé pour San Francisco, où
j’ai rencontré une jeune femme médecin du Centre de recherches sur les
radiations. En Californie, une souscription avait permis de récolter
suffisamment d’argent pour qu’elle fasse le voyage avec moi afin d’observer
leurs méthodes de traitement. Je suis resté là-bas trente et un jours, et j’ai
reçu des soins vingt-deux fois en tout.
Là-bas, on m’appelait hibakusha. Au Japon un hibakusha est un survivant de la bombe, et j’ai rencontré de nombreux hibakusha au cours de mon séjour. Ils étaient dans diverses sortes de lits,
et étaient atteints de diverses affections : certaines identiques à la
mienne, d’autres souffraient de graves brûlures, certains étaient aveugles, d’autres
n’avaient plus que la moitié du corps, mais ils étaient tous en vie.
Les hibakusha ont vraiment été très gentils avec moi.
S’ils pouvaient se tenir debout, s’asseoir, ou seulement me faire signe de la
main quand ils me voyaient, ils le faisaient. Les autres restaient dans leurs
lits et me regardaient. C’était une situation très éprouvante, et j’étais fier
d’être avec eux.
Je ne pense pas que le président des Etats-Unis aurait été
mieux reçu que moi. Les gens venaient me voir quand je sortais dans la rue, ils
venaient me toucher. On m’a accordé divers honneurs au cours de mon séjour, mais
je crois que le plus grand honneur a été celui d’être le premier vétéran
américain à aller se faire soigner au Japon. Ils avaient un bateau, le Lucky
Dragon, dont un certain nombre de marins s’étaient fait prendre sous le
vent des retombées atomiques et étaient morts. Tous les poissons à bord avaient
été contaminés. Ils m’ont fait signer le journal de bord et m’ont fait marin d’honneur
du bateau. Le maire d’Hiroshima m’a même accordé une entrevue de quarante-sept
minutes.
De retour aux États-Unis, même le gouverneur du Tennessee, où
j’habite, n’a pas voulu reconnaître mon cas. Il n’est quand même pas facile d’admettre
qu’il faille aller dans le pays que vous avez voulu détruire pour recevoir un
accueil aussi généreux et sans aucune animosité.
J’ai reçu le même type de traitement qu’eux. Et les médecins
m’ont dit que ce serait dommage de ne pas pouvoir continuer mon traitement
après mon retour du Japon. Car si je restais plus de six mois sans recommencer
le traitement il perdrait tout son effet. Après mon retour ils ont essayé de m’envoyer
dans plusieurs hôpitaux pour que j’y reçoive le même type de soins, notamment à
la clinique Mayo de l’UCLA. Mais le gouvernement s’y est opposé, car si on
acceptait de me traiter pour des irradiations, je gagnais du même coup mon
procès. Ça revenait à reconnaître leur part de responsabilité
Ce problème est en partie dû à un certain monsieur Taft. Un
amendement à la loi 9572, c’est-à-dire la loi accordant une aide aux vétérans
du Viêt-Nam, allouait une aide aux anciens combattants victimes des essais
atomiques. Ce monsieur a déclaré au Congrès qu’une telle mesure nuirait à
toutes nos opérations en dehors du territoire américain, car si quelqu’un en
avait vent les États-Unis pourraient être amenés à retirer leurs missiles
nucléaires de tous les lieux où ils se trouvent.
Je n’en veux pas au gouvernement. Je me suis porté
volontaire parce que je voulais pouvoir me vanter d’avoir été marin. Mais en
même temps je leur en veux de ne pas nous avoir mis en garde contre les risques
que nous courions. Je suis fier de mon gouvernement. Je suis fier de la liberté
que nous avons. Je suis fier du peuple américain. On est libres de fréquenter l’église
de notre choix. On a vraiment beaucoup de droits. Je peux conduire une voiture
sans autorisation spéciale. Je suis fier de
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