La case de L'oncle Tom
v’là le cornet qui sonne, et v’là le matin, et v’là qu’il faut recommencer. Ah ! que j’irais bien lui dire tout ça au Seigneur, si je savais où le trouver !
– Il est ici, il est partout, reprit Tom.
– Misère ! c’est pas à moi que vous ferez accroire qu’il est ici ! N’y a pas le Seigneur ici du tout, du tout, dit la femme ; mais à quoi sert parler ! Je m’en vas me camper par terre, et dormir pendant que je peux. »
Les femmes se rendirent à leurs cases, et Tom resta seul près du feu à demi éteint, qui éclairait d’un reflet rouge sa noire face. La tranquille lune, au front argenté, se dessinait dans le bleu du ciel ; et calme, impassible, comme le regard que Dieu laisse tomber d’en haut sur les scènes de misère et d’oppression, la silencieuse lueur descendait sur le pauvre nègre abandonné, seul, assis, les bras croisés, sa Bible sur ses genoux.
« DIEU est-il donc ICI ? » Oh ! comment l’ignorant gardera-t-il sa foi immuable ? comment ne chancellera-t-il pas à l’aspect du désordre et de l’iniquité qui règnent sans contrôle ? La lutte qui s’élève dans cette âme candide est déchirante : Tom se sent anéanti en présence du triomphe absolu du mal. C’est une angoisse sans nom ; c’est le pressentiment d’une misère sans limites ; c’est le naufrage de toutes les espérances passées que ses souvenirs tumultueux roulent devant lui, comme les vagues forcenées ballottent sous l’œil du naufragé expirant les cadavres sans vie de sa femme, de ses enfants, de tout ce qui lui fut cher. Oh ! qu’il est difficile de croire et de s’attacher avec une inébranlable ardeur au grand mot d’ordre du chrétien : « Dieu est celui qui est, celui qui récompensa ceux qui le cherchent et ne se lassent pas. »
Tom se leva désespéré, et se rendit, en trébuchant, dans la case qui lui était assignée, le plancher était déjà jonché de dormeurs accablés de lassitude, et les exhalaisons infectes le firent presque reculer. Mais la rosée de la nuit était morbide et glacée, ses membres fatigués se raidissaient, il s’enveloppa d’une couverture en lambeaux qui formait tout son lit, s’étendit sur la paille, et tomba endormi.
Alors une douce voix murmura dans son oreille ; il était assis sur le siége de mousse, au bord du lac Pontchartrain. Éva, ses yeux doux et sérieux abaissés sur le livre, lui lisait la Bible, et il entendit ces paroles :
« Quand tu passeras par les eaux, je serai avec toi ; et quand tu passeras par les fleuves, ils ne te noieront point ; quand tu marcheras dans le feu, tu ne seras point brûlé, et la flamme ne t’embrasera point, car je suis le Seigneur ton Dieu, le saint d’Israël ton Sauveur [45] . »
Les mots, peu à peu, semblèrent se dissoudre dans l’air et monter comme une musique céleste ; l’enfant releva ses grands yeux, et attacha sur Tom avec amour son profond et doux regard, d’où partaient des rayons chauds et vivifiants qui venaient lui épanouir le cœur. Elle semblait planer avec les sons, portée à demi par eux ; soudain elle déploya de blanches ailes d’où pleuvaient de brillantes étincelles, des flocons d’or, une averse d’étoiles ; puis – Éva avait disparu.
Tom s’éveilla : était-ce un rêve ? Soit. Mais qui dira qu’à ce doux, jeune esprit, pénétré durant sa vie d’un si ardent désir de soulager, de consoler les malheureux, qui dira que Dieu eût interdit après sa mort ce divin ministère ?
Douce et consolante croyance,
Qu’autour de la couche où tu dors
Planent, voltigent en silence,
Les esprits vénérés des morts.
CHAPITRE XXXIV
Cassy.
Voyez les larmes de ceux qu’on opprime et qui n’ont point de consolation.
Ecclésiaste, ch IV, verset 1.
Tom fut bientôt familiarisé avec tout ce qu’il y avait à espérer ou à craindre de son nouveau genre de vie. Travailleur habile et expérimenté, il était, de plus, prompt et fidèle, par habitude et par principe. Dans sa disposition paisible, il espérait, à force d’application et de zèle, se préserver, du moins en partie, des maux de sa situation. Il voyait autour de lui assez de souffrance et de misère pour avoir le cœur navré ; mais il se promit de travailler avec une religieuse patience, et de s’en remettre à Celui qui juge dans sa justice, tout en nourrissant une vague espérance qu’un moyen de salut pourrait encore s’offrir.
Legris prenait note
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