La chapelle du Diable
C’est Marguerite qui l’a pas mal fait tout seule,
mais je pense être bonne pour me débrouiller la prochaine fois.
— Comment elle allait la belle Marguerite, elle est moins malade ?
Julianna hésita avant de répondre. Sa belle-sœur souffrait « de problèmes de
femme » et c’était un sujet beaucoup trop gênant pour en discuter avec son
mari.
— A va bien. On a ramassé des bleuets pendant tout le matin,
moé, Marguerite pis ses p’tits gars. Son Jean-Marie est pas mal vaillant. Moé
pis Elzéar, on avait même pas rempli la moitié de notre chaudière que lui y
avait fini la sienne. Pis y était tout fier de nous dire que sa mère l’avait pas
aidé.
Julianna déposa la part de gâteau devant son mari. François-Xavier attaqua son
dessert en imaginant sa femme dans sa jolie robe en train de ramasser les
minuscules fruits bleus qui poussaient en abondance, en ces derniers jours
d’août, sur les crans pas loin du lac. Il ne doutait pas qu’elle devait bien
plus jouer avec le petit Elzéar ou chasser un papillon en riant tandis que
Marguerite et son fils aîné se démenaient à la cueillette.
Julianna s’assit à son tour et regarda son mari plonger sa cuillère dans le
sirop épais et sucré de la sauce aux bleuets qui recouvrait le gâteau.
— Alors ma surprise ? Tu veux-tu la savoir ?
— J’pensais que c’était que t’avais préparé mon dessert préféré !
— Ah non, c’est quelque chose de beaucoup plus gros… Ben c’est encore ben p’tit
mais Marguerite a dit que vers le printemps, y serait là, notre p’tit cœur à
nous deux, termina-t-elle en mettant ses mains sur son ventre.
François-Xavier laissa tomber son ustensile. Son regard alla du dessin au
ventre de Julianna. Son visage s’éclaira.
— Quoi ? Tu… tu… tu vas avoir un… bébé ?
— Oui je pense ben que c’est ça…
François-Xavier se leva brusquement de sa chaise. Il hésita un instant,
essayant d’assimiler la nouvelle puis, sans un mot, il entreprit de remettre ses
bottes.
— Où tu vas ? s’étonna Julianna.
— Je… Je, il faut que j’aille voir à la fromagerie… mentit-il en
s’éclipsant.
Devant le départ précipité de son mari, Julianna resta un momentinterdite. Avec son mari, rien ne se passait jamais comme elle l’imaginait.
Rageusement, elle arracha la banderole et la fourra dans l’âtre du poêle. Elle
se laissa tomber sur une chaise et éclata en sanglots. Elle était la femme la
plus malheureuse du monde. François-Xavier n’avait pas de cœur. Son mari n’était
qu’un être insensible…
Comme Julianna se trompait ! François-Xavier avait fui sa femme parce que le
choc de sa future paternité l’avait tellement ébranlé que, sur le coup, il avait
été submergé par l’émotion. Il devait se réfugier auprès de son lac, se calmer,
respirer, réfléchir… Il marcha longuement sur la grève. Il allait être père. Le
soleil se couchait et le ciel s’embrasa. François-Xavier s’immobilisa face au
lac et contempla ce spectacle grandiose. La boule orangée descendait petit à
petit dans l’eau, se parant de mille diamants liquides. François-Xavier
ressentit une si grande paix intérieure qu’il cessa de respirer quelques
secondes. François-Xavier Rousseau allait être père et transmettre à son fils
son héritage. Car ce serait un fils. Il resta là, jusqu’à ce que l’astre ait
complètement disparu, ne laissant qu’une large bande rosée. On ne discernait
plus le soleil, mais on le savait là et sa lumière continuait à les éclairer.
C’était comme pour Ernest… Malgré sa cruelle absence, l’auréole de son amour
brillait toujours. Serein, François-Xavier fit un petit signe d’au revoir à son
père et lui promit de suivre son exemple et d’être aimant lui aussi. Se sentant
léger et heureux, il n’eut qu’une envie, celle d’aller annoncer la nouvelle à
Ti-Georges.
Ti-Georges n’oublierait pas de sitôt la visite de François-Xavier. Il relaxait
dans sa chaise berçante tandis que sa femme terminait de peigner ses deux fils
sur le point d’aller se coucher quand le visage de sonami
apparut à travers les carreaux de la porte de la cuisine. François-Xavier frappa
trois coups secs et se mit à piétiner sur place. Marguerite s’empressa d’aller
lui ouvrir en disant :
— Mon bon François-Xavier, tu sais ben que t’as
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