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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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tour
     d’observation et qu’elle avait laissé traîner des indices permettant à
     François-Xavier de suivre la piste et de la rejoindre. Le jeune homme trouvait
     tout cela bien enfantin. Comme il savait qu’il n’était pas d’une compagnie très
     joyeuse pour une jeune épouse, il ne faisait aucune remarque. Il portait le
     deuil non seulement par un brassard noir, mais jusqu’au fond des yeux. La
     sollicitude de Julianna lui pesait. Des fois, il avait envie de lui crier de le
     laisser tranquille, de lui donner du temps, qu’il avait besoin de solitude… Il
     se retenait. Il avait l’intime conviction qu’elle ne comprendrait pas. Julianna
     croyait que son amour et sa présencepouvaient, devaient suffire
     à tout surmonter. Elle le pressait de retrouver sa bonne humeur, lui faisant
     sentir que leur amour était censé être plus fort que la mort. Non, elle ne
     comprendrait pas que ce deuil lui faisait faire une si grande prise de
     conscience. Le décès de son père le ramenait à sa naissance. Il se surprenait à
     penser souvent à ce Patrick O’Connor, son vrai père. Peut-être que lui était
     encore vivant, quelque part… Pourtant, quand, en 1918, Joséphine était morte en
     lui laissant une lettre révélant l’identité de cet Irlandais avec lequel elle
     l’avait conçu, il avait pris cela avec un certain détachement. Cela expliquait
     ses cheveux roux et c’était tout. Ernest était là et il se sentait profondément
     un Rousseau bien plus qu’un O’Connor. À ce moment, ce père biologique était
     comme cette guerre qui s’achevait en Europe… Un conflit lointain dont on suivait
     le déroulement par le biais de quelques nouvelles ici et là, quelque chose sans
     visage, qui ne faisait pas partie de sa réalité. Il ne comprenait même pas
     vraiment qui affrontait qui ! Se faire annoncer l’existence de son géniteur
     avait été comme d’apprendre que la conscription de 1917 le forcerait peut-être à
     aller se battre dans d’autres pays. C’était troublant, mais un peu irréel aussi.
     Leur ennemi à eux avait été beaucoup plus sournois. Une poignée de main, un
     baiser le cachait. La grippe espagnole avait livré une rude bataille et avait
     emporté sa chère Fifine et bien d’autres. Maintenant qu’il était à nouveau
     orphelin, ce père inconnu venait le hanter, rôdant autour de sa vie, réclamant
     la place de père auprès de lui, cette place laissée vide… ce vide
     intolérable…
    — T’aimes pas ma surprise ? demanda tout à coup Julianna.
    François-Xavier sortit de sa torpeur et remarqua enfin une sorte de banderole
     accrochée au dessus du poêle à bois. Sur deux anciens sacs de farine cousus
     ensemble, Julianna avait peinturé deux gros bonshommes en forme de cœur. De
     leurs drôles de bras, ils en tenaient un plus petit entre eux. La peinture rouge
     dégoulinait encore.
    — Euh… c’est quoi ? demanda François-Xavier qui ne savait trop comment
     réagir.
    — Tu devines pas ? Pourtant, il me semble que c’est clair.
    Elle s’était fait une telle joie en anticipant la réaction de son mari.
    — Laisse-moé arriver pis enlever mes bottes, dit-il d’un ton las en se penchant
     pour se déchausser.
    — J’ai fait un gâteau, lui dit tout à coup Julianna en changeant de
     sujet.
    D’un air boudeur devant le manque flagrant d’enthousiasme de son mari à l’égard
     de sa surprise, elle se dirigea vers le vaisselier y prendre une assiette. Rien
     ne se passait comme elle avait prévu. Elle sentait la colère la gagner.
    — Je voulais préparer un ragoût comme Marguerite m’a montré mais j’ai pas eu le
     temps, maugréa-t-elle.
    En soupirant, François-Xavier corda ses bottes boueuses l’une à côté de
     l’autre. « Bon, j’ai encore réussi à la faire fâcher », se désespéra-t-il. Il
     s’assit lourdement sur une chaise de la table et regarda de nouveau la banderole
     en essayant d’en saisir le sens.
    — Tu veux-tu un peu de pain pis du fromage ou un morceau de gâteau tout de
     suite ? demanda Julianna.
    — Juste du gâteau, ça va faire. Surtout si y est aux bleuets comme je pense,
     répondit François-Xavier.
    Julianna prit sur elle et se dit qu’elle avait vraiment un fichu caractère. Son
     mari était fatigué, il avait raison, elle devait lui laisser le temps d’arriver.
     Elle retrouva sa bonne humeur et avec un sourire, elle confirma.
    — Ton nez te trompe pas !

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