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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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on va toujours avoir
     les pieds au propre, pis ta sœur Julianna est pas ben grande…
    Ti-Georges avait retourné la feuille en riant pour revenir au dessin de
     l’extérieur.
    — Est ben accordée avec ta maison, fit-il remarquer. On dirait un château en
     miniature.
    — C’est beau, hein ! Pis en plus, j’vas la construire de ce côté-là de la
     maison, assez loin pour pas que ça sente mais assez proche pour que ça soit
     facile d’y aller. J’vas faire un sentier avec des belles roches plates.
    Cette fois Ti-Georges avait franchement éclaté de rire.
    — Un chemin en pattes d’ours pour aller pisser !
    Affectueusement, il avait ajouté :
    — Veux-tu ben me dire où tu vas pêcher des idées pareilles ! Bateau, y va
     falloir la baptiser, pis on va l’appeler la royale bécosse !

    La vision qu’offrait maintenant cette petite cabane effondrée n’avait plus rien
     de princier. Nostalgique au souvenir de ces temps insouciants, François-Xavier
     reprit son exploration. Il s’interdit de regarder à l’opposé, en direction du
     puits, là où son père était tragiquement décédé, et revint au-devant de la
     maison.
    Il leva la tête et détailla les ravages causés à la tourelle, cet ajout hors de
     l’ordinaire, né de son imagination et qui avait été sa fierté. De ce poste
     d’observation, là-haut, le lac Saint-Jean se donnait en spectacle, une représentation différente à chaque heure, chaque jour, chaque nuit.
     Combien de fois s’y était-il laissé griser par tant de beauté plus grande que
     nature ? Pendant ces moments de contemplation, les doutes qui l’habitaient
     s’estompaient et un lien avec le divin le prenait à l’âme. Sous un dôme
     d’étoiles, il se surprenait à prier, non pas en récitant une litanie mais en
     communiant silencieusement avec ses pensées les plus profondes. Devant un soleil
     couchant qui l’enveloppait de sa chaude couverture orangée, il se confessait et
     demandait pardon pour ses faiblesses. À l’aube brumeuse, c’est avec
     reconnaissance qu’il remerciait le ciel de lui permettre de commencer une
     nouvelle journée. Celui qui avait su dessiner des plans d’une telle beauté,
     pensant à chaque détail, réalisant la perfection dans l’équilibre des masses,
     l’harmonie des couleurs, le fonctionnement d’une complexité inimaginable, cette
     merveille où dans le cycle de poussière à poussière tout s’enchâssait
     parfaitement, sans jamais s’arrêter, depuis des siècles et des siècles, ce Dieu
     ne pouvait que posséder une force créatrice jamais destructrice, son esprit ne
     pouvait qu’être sensibilité, amour, partage. François-Xavier ressentait que tout
     ceci était loin du Dieu épeurant que les religieuses à l’orphelinat
     s’évertuaient à lui faire craindre. C’était plutôt le Dieu que son père Ernest
     lui avait enseigné de façon concrète, par sa tendresse, sa patience, son amour
     inconditionnel envers lui. Dans ces moments de recueillement, François-Xavier se
     sentait grandir par en dedans. Ce mouvement de croissance invisible le rassurait
     et lui faisait croire qu’il avait fait les bons choix dans sa vie.
    Aujourd’hui, l’homme doutait. Aujourd’hui, il savait que là où Dieu bâtit son
     Église, le Diable bâtit sa chapelle…
    François-Xavier soupira. Il se demanda si l’escalier intérieur, menant à la
     tour, était encore praticable et s’il lui serait possible d’y monter. Il se
     revit là-haut, le soir de ses noces, enlaçant sa nouvelle épouse, face à son
     lac. Le 2 juillet 1925, un homme et une femme allaient enfin vraiment s’unir.
     Fermant les yeux, François-Xaviersentit comme si c’était hier la
     nouveauté de ces caresses. Il entendit à nouveau le son rauque et excitant de la
     voix de Julianna, l’implorant de l’épouser…

    Le désir le tenaillait depuis le matin. À peine s’il avait entendu la
     bénédiction nuptiale. Peu de gens avaient été invités. Le grand deuil du père de
     Julianna n’étant pas terminé, on avait tenu la double noce dans la simplicité et
     l’intimité. Un don substantiel à la paroisse avait aidé le curé à accepter cette
     dérogation. Avec émotion, il revit l’image de son père Ernest, dans son beau
     costume, les yeux brillants en disant oui à Léonie. Le même habit dont il
     l’avait revêtu le jour de sa mort.
    François-Xavier préféra revenir au doux souvenir de la peau

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