La chasse infernale
pleine.
— C’est ce que cet âne de bâtard, là en bas, m’a demandé, remarqua Ranulf.
Bullock s’installa au mieux sur son tabouret et, d’un signe de tête, désigna l’étroite archère.
— Si elle était assez large, je vous ferais passer à travers !
Corbett soupira, sortit de son escarcelle le sceau du roi et le jeta sur la table. Bullock avala sa bouchée de nourriture et prit l’objet.
— Vous savez ce que c’est, Messire Bollock ? ironisa Ranulf.
— Je m’appelle Bullock {13} .
Le shérif repoussa son tabouret, se leva et se lécha les doigts qu’il essuya sur une toaille {14} souillée. Mains sur les hanches, il se planta devant Ranulf.
— Je m’appelle Bullock, répéta-t-il. Et savez-vous pourquoi, Messire ? Parce que je ressemble à un taurillon : râblé, impulsif et d’humeur difficile.
Il enfonça un doigt dans le ventre de Ranulf.
— Et vous, vous avez l’air d’un homme querelleur, mais cela ne me fait pas peur. J’ai eu affaire à plus forte partie !
Il se tourna brusquement vers Corbett et lui tendit la main.
— Je suis désolé, Sir Hugh. Le roi a envoyé un messager et nous vous attendions.
Le magistrat lui saisit la main. Il remarqua que le shérif avait les yeux cernés de fatigue.
— Vous semblez épuisé, Messire.
Sir Walter montra un banc contre le mur.
— Si je m’étendais, Sir Hugh, je ne me relèverais plus. Voulez-vous un peu de vin ? Ou quelque chose à manger ?
Il jeta un regard rusé à Ranulf.
— Un seau d’eau du puits vous rafraîchirait sans doute après votre long voyage par cette chaleur ?
Ranulf eut un franc sourire devant ce petit homme belliqueux comme un coq de combat.
— Sir Walter, je vous présente mes excuses.
Le shérif lui serra la main puis se cura les dents.
— Satanée vie de soldat ! maugréa-t-il.
Il attendit que Corbett se fût assis puis, rapprochant son tabouret, il énuméra les différents points en comptant sur ses doigts boudinés.
— Le roi à Woodstock me harcèle. Un parlement a été convoqué et doit siéger à Westminster : je suis chargé de faire élire l’homme qu’il faut. Il y a un certain charlatan qui vend des dents de rat aux enfants. La garnison n’a pas été payée depuis quatre mois. Je vais manquer de réserves. Et au Bocardo, ajouta-t-il en faisant référence à la prison de la ville, il y a trois traîtres que je dois pendre par le cou avant la tombée de la nuit. Une servante d’auberge a été violée dans la taverne du Jeu de Dames. J’ai un furoncle aux fesses. Voilà deux nuits que je ne dors pas et la parentaille de mon épouse a l’intention de venir nous voir et de rester jusqu’à la Saint-Michel.
Il renifla.
— Et ce ne sont là que vétilles.
Corbett sourit. Fouillant dans son escarcelle il en tira deux pièces d’or.
— Je ne suis pas à vendre, Sir Hugh.
— Ce n’est pas un pot-de-vin, rétorqua le magistrat. C’est votre salaire. Je le signalerai à l’Échiquier.
Les pièces disparurent en un clin d’oeil.
— Et le Gardien ? s’enquit Corbett.
— J’ignore de qui il s’agit. Tout ce que je sais, c’est que, de temps en temps, l’une de ses proclamations est affichée à la porte d’un collège ou d’une église.
— N’avez-vous pas combattu à Evesham aux côtés de Montfort ? demanda abruptement le magistrat.
Le shérif détourna le regard.
— En effet, répondit-il comme s’il se parlait à lui-même. J’étais jeune, idéaliste et songe-creux au point de croire que les rêves pouvaient se réaliser. À présent, Sir Hugh, je sers le roi dans la paix comme dans la guerre. Je ne suis pas un traître. J’ignore qui est le Gardien et d’où il vient. Oh, j’ai trotté en tous sens afin de mener mon enquête parmi les musards de Sparrow Hall, mais j’aurais aussi bien pu jouer du pipeau pour obtenir une réponse !
— Et les cadavres dans les environs d’Oxford ?
Bullock haussa les épaules.
— Vous en savez autant que moi, Sir Hugh. De pauvres hères ; têtes coupées et attachées par les cheveux à un arbre. J’ai envoyé mes hommes en chasse. Ils ont battu bois et champs. Il se trame quelque chose.
S’interrompant, il gratta le grain de beauté qu’il avait sur la joue droite.
— Oxford est un endroit étrange, Sir Hugh. Dans les églises on chante le Salve Regina et on adore le corps du Christ. Le soir, dans les tavernes, on perd son âme dans le vin et la débauche.
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