La Chimère d'or des Borgia
Torelli à la patience !
— Je vous préviens qu’il n’y aura que des bijoux fort coûteux, si ce n’est ruineux. C’est une importante collection qui sera mise aux enchères. Sinon, je ne me dérangerais pas.
— C’est bien ce que j’espère ! Je me vois mal lui rapporter un briquet même en platine ou un collier d’ambre !
Morosini ne put s’empêcher de rire ! C’était vraiment une sorte de nabab, ce bonhomme !
— Savez-vous que vous êtes incroyable ? dit-il en lui tendant l’un des deux verres de whisky qu’il venait de servir. On a l’impression que rien n’est capable de vous arrêter quand vous voulez quelque chose.
— Dès l’instant où cela ne porte tort à personne, je ne vois pas pourquoi je me gênerais !
Entre leurs paupières plissées, les yeux bleu azur pétillaient de malice. Wishbone était trop sympathique pour que l’on n’essaie pas de l’aider. Aldo, tout à coup, se sentait l’envie de parcourir un bout de route avec lui.
— Je vais prier mon secrétaire de vous retenir un single pour ce soir sur l’Orient-Express. On se retrouvera à la gare ! Où descendez-vous à Paris ?
— Nulle part… enfin, je veux dire : je n’en sais rien ! En venant, je n’ai fait que changer de train !
— Alors ne vous en souciez pas ! Nous irons ensemble là où j’ai l’habitude de séjourner !
L’idée lui en était venue tout naturellement. Cet Américain hors norme allait faire le bonheur de Tante Amélie et de « Plan-Crépin » ! Ce serait trop dommage de les en priver !
Il l’aurait volontiers gardé à déjeuner mais Lisa, sa femme, hébergeait déjà à la maison son cousin Friedrich von Apfelgrüne, personnage original s’il en fut, accompagné de son épouse Hilda et de ses deux enfants, Frantz et Élisabeth, dont l’entente avec les jumeaux, Antonio et Amélia, avait été immédiate. Un peu trop même ! Et depuis leur venue, le palazzio Morosini retentissait de leurs exploits et d’une joie de vivre particulièrement inventive ! Aldo les aimait bien mais n’était pas fâché d’avoir une excuse pour un séjour reposant à Paris ! D’autant qu’aux deux paires de gamins s’ajoutait le jeune Marco, le dernier arrivé des Morosini et l’enfant chéri de Lisa, solide petit rouquin de trois ans plus jeune que les jumeaux qui, s’il ne participait pas encore aux galopades et autres grandes aventures des autres, se contentait de jouer les voix mais s’en tirait de façon remarquable en faisant preuve d’une rare vigueur de gosier qui agaçait Aldo. Celui-ci prétendait qu’on devait l’entendre jusqu’au palais des Doges ! Ce qui amusait beaucoup Lisa.
— On voit que tu étais fils unique !
— Toi aussi !
— Oui, mais moi, j’avais tellement de cousins qu’on ne s’en apercevait pas…
Aldo, pour sa part, aurait préféré des frères, les cousins en question ayant tous été – ou étaient peut-être encore ! – amoureux de Lisa. Même Apfelgrüne qui, au début de leurs relations, avait fait son possible pour l’écarter de sa belle cousine, avant de se transformer, il est vrai, en assistant plein de bonne volonté quand son ami Adalbert et lui traquaient l’opale manquant au Pectoral du Grand Prêtre de Jérusalem. Depuis, évidemment, il avait rencontré son Hilda à un bal chez les Kinski, s’était retiré de la compétition et transformé en un excellent ami. Ce qui n’était pas le cas de certains autres, comme le cousin Gaspard, suisse comme Lisa mais installé à Paris, qui ne se décourageait pas mais avait au moins la pudeur de ne pas se montrer à Venise…
Après avoir raccompagné Cornélius à la gondole du Danieli qui l’attendait, Aldo se rendit dans le bureau de Guy Buteau, son fondé de pouvoir qui avait été, jadis, son précepteur, et le trouva en compagnie de Lisa venue demander qu’il sorte du coffre la parure d’aigues-marines et de diamants qu’elle porterait le soir même au bal chez les Foscari où, puisque Aldo partait pour Paris, elle comptait emmener Friedrich et Hilda.
Comme chaque fois qu’il les voyait ensemble, Aldo admira le contraste formé entre la somptueuse chevelure rousse de sa femme et les cheveux neigeux de son vieil ami. Ils se connaissaient depuis des années, du temps où Lisa, fille d’un richissime banquier zurichois, officiait auprès d’Aldo en tant que secrétaire – ô combien compétente ! – sous le nom et l’aspect ahurissant de Mina Van Zelden, Hollandaise à
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