La Chimère d'or des Borgia
soir ! Pas si tôt ! Lisa était bien trop fine, surtout si sa jalousie s’éveillait, pour ne pas déceler sur lui la trace de celle qui devenait « l’autre » ! Elle rejetterait son mari infidèle avec dégoût et de cela il ne voulait à aucun prix. Lisa était sa femme, la mère de ses enfants, elle était à lui et la seule idée de la perdre lui serrait le cœur. Leur amour était de ceux que rien ne peut briser… Sauf justement ce qui venait de se passer, surtout en disant à Pauline qu’il l’aimait. Était-ce d’ailleurs la réalité même si, à cet instant-là, il avait été sincère ?
Ce qu’il fallait, c’était gagner du temps. Mais comment ?
Le train atteignait le lac Majeur en approchant de Stresa. Endroit idyllique s’il en fut où, au bord du lac ou voguant dessus pour admirer les îles Borromées, on rencontrait plus d’amoureux que de piétons solitaires. À fuir, et comme la peste ! Mais une heure et demie plus tard, ce serait Milan… dernier arrêt avant Venise !
Aldo y connaissait pas mal de monde et s’y rendait plusieurs fois par an pour ses affaires. Ses habitudes étaient attachées à l’hôtel Continental, le plus ancien palace de la ville, où il était certain de trouver le confort, le repos et le calme – sauf au bar, des plus courus ! – dont il avait le plus urgent besoin. Après tout, rien ne l’obligeait à rentrer ce soir à Venise puisqu’il avait eu la bonne idée de ne pas annoncer son retour afin d’en faire la surprise à sa famille… Sa décision fut vite prise. Il sonna Albert qui apparut presque instantanément.
— Je vais descendre à Milan, l’informa-t-il. Vous voudrez bien, en arrivant, faire déposer mes bagages à la consigne ?
— Bien sûr, Excellence ! Y a-t-il quelqu’un à prévenir ?
— Non. Personne ne m’attend. Vous serez gentil de remettre la clef au chef de gare Bronzini ! recommanda-t-il en y ajoutant un billet de banque.
Il ne conservait que la mallette contenant le minimum nécessaire pour un ou deux jours et, dans le double fond, les joyaux achetés à la vente Van Tilden. Cependant le fonctionnaire s’inquiétait.
— Monsieur le prince ne se sent pas bien ? Je lui trouve moins bonne mine qu’hier !
— Vous ne le savez sans doute pas, mon cher Albert, mais je ne dors jamais dans un sleeping !
Ce qui était faux. C’était même l’un des endroits au monde où il dormait le mieux, bercé par le rythme des bogies. Il n’en alla pas moins s’examiner dans le miroir. Tout à l’heure en se rasant il n’y avait pas pris garde, mais Albert avait raison en disant qu’il n’avait pas l’air brillant. Il est vrai qu’une nuit aussi agitée que celle qu’il venait de vivre pouvait compter double… surtout quand la précédente n’avait pas été fameuse. Il l’avait occupée en fumant cigarette sur cigarette tourmenté par le virage brutal que la Torelli avait imposé à sa vie. Jamais Adalbert ne l’avait regardé avec cette fureur… proche de la haine. Oui, c’était cela qu’un instant il avait lu dans ses yeux. Et ce regard l’avait tenu éveillé presque toute la nuit… Si l’on y additionnait les heures brûlantes dans les bras de Pauline, il ne fallait pas s’étonner du résultat... et il avait été sagement inspiré en décidant de descendre à Milan. Infliger cette figure à Lisa eût relevé de la démence : ou bien, le croyant malade, elle l’aurait fourré au lit en déployant tout l’arsenal de remise en forme suisse, ou bien elle aurait deviné la vérité et, ça, ce n’était pas pensable ! Elle aurait pris ses enfants sous le bras et serait partie pour Vienne en lui disant qu’il ne la reverrait jamais !
Le Continental lui offrit tout ce qu’il en espérait : une chambre calme, une vaste baignoire qu’il remplit d’eau délicieusement chaude additionnée de sels de bain à la lavande, un dîner léger qu’il se fit servir à domicile, enfin un lit, qui aurait pu accueillir trois personnes, aux moelleuses profondeurs et où il plongea comme dans un nuage pour un sommeil sans rêves dont il émergea douze heures plus tard, les idées remises à neuf. Une douche froide, un solide petit déjeuner et il se sentit de nouveau frais comme un gardon et prêt à reprendre la vie à pleins bras !
Sa nuit avec Pauline, il lui fallait à présent la remiser au plus obscur de sa mémoire. Elle avait été trop merveilleuse – comme l’avaient été celle du Ritz et l’aurore de
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