La Chimère d'or des Borgia
orangée et le lire tranquillement tout en mangeant.
Décidé à dîner léger pour se ménager un sommeil réparateur, il commanda des huîtres, une sole meunière et une compote de fruits variés, sans oublier un champagne d’un bon cru, ce qui eut l’avantage d’apporter quelques couleurs à une humeur qui décidément se mettait à raser les murs à la recherche des ombres les plus denses.
Délaissant un journal qui au fond ne l’intéressait absolument pas, il entreprit d’examiner le phénomène. Qu’est-ce qui, à mesure que le train s’enfonçait dans la nuit et l’éloignait de Paris, lui faisait éprouver cette espèce de regret ? Adalbert, encore ! C’était trop bête d’en rester à cette querelle idiote à propos d’une femme qu’ils ne connaissaient ni l’un ni l’autre ! Il aurait fallu percer l’abcès, quitte à s’administrer mutuellement quelques horions. Peut-être qu’à bout de souffle ils seraient tombés dans les bras l’un de l’autre en éclatant de rire, avant de fêter leur réconciliation en débouchant la première bouteille venue. Et maintenant chaque tour de roue élargissait la déchirure… peut-être jusqu’à l’irréparable ?
Et puis, il y avait Pauline. Ses bras étaient si doux pour y réfugier un chagrin ! Sans compter un corps assez envoûtant pour faire oublier ses angoisses, ne serait-ce que l’espace d’une nuit… Mais ce n’était pas tout et, en creusant la question, Aldo découvrit qu’il regrettait… la Chimère ! Ou plutôt, la chasse à la Chimère ! C’était la première fois de sa vie qu’il abandonnait une proie. Pratiquement sans combattre et, ça, c’était en totale contradiction avec sa nature profonde, avec sa vocation de chercheur de trésors et surtout l’excitation de la traque avec tout ce qu’elle pouvait comporter de dangers si avantageusement compensés par la formidable explosion de la victoire ! Or, Adalbert allait s’engager seul dans le sentier truffé des pièges qui mènent aux plus splendides joyaux ! Et celui-là, même s’il ne lui plaisait pas, était l’un d’eux. En plus, c’était un Borgia !
Son sentiment d’avoir déserté face à l’ennemi fut soudain si puissant qu’en quittant le wagon-restaurant il faillit tirer le signal d’alarme ! Heureusement, sa raison le retint à temps en lui soufflant que le train, lancé alors à pleine vitesse, le déposerait au milieu d’une campagne nocturne d’où il ne voyait pas clairement comment il pourrait sortir. Et surtout, qu’il aurait l’air d’un imbécile !
Consultant sa montre, il constata que l’arrêt à Dijon aurait lieu dans une heure. La halte durait dix minutes, plus qu’il n’était nécessaire pour descendre en gardant toute la dignité voulue, et il rentra dans sa cabine, prêt à prendre ses dispositions. La tentation gagnait du terrain.
Durant son absence Albert avait fait le lit, aux draps d’une blancheur impeccable et aux couvertures moelleuses, plutôt tentant pour un homme fatigué. Mais il se contenta de s’asseoir près de la fenêtre et d’allumer une cigarette en se posant de nouvelles questions. Où irait-il à Paris ? Difficile de retourner chez Tante Amélie ! Encore que…
Il en était à ce stade quand il entendit frapper, alla à la porte, ne vit personne et revenait s’asseoir quand on frappa de nouveau, mais c’était à la porte de communication contiguë au compartiment voisin, fermé des deux côtés comme il se doit. Sans se demander qui cela pouvait être, il tira les verrous, ouvrit… et recula comme si on lui avait porté un coup : Pauline était devant lui.
— Puis-je entrer ? murmura-t-elle.
Vêtue de blanches mousselines, ses abondants cheveux noirs croulant sur ses épaules, son visage sensible levé vers lui offrant son regard brumeux et ses lèvres rouges entrouvertes, elle était si belle qu’il eut un éblouissement.
— Toi, exhala-t-il. Toi… enfin !
Il prit doucement entre ses mains le beau visage offert pour un long baiser puis referma ses bras sur elle et l’emporta… Quand le train fit halte à Dijon, il ne s’en aperçut même pas…
Jamais nuit d’amour ne fut plus ardente… ni plus inconfortable ! Tenir à deux dans une couchette, même étroitement enlacés, n’est pas si évident. Il y eut même un épisode où un cahot sur la voie envoya Aldo sur le tapis à un moment crucial, mais Pauline l’y rejoignit aussitôt… et tout rentra dans l’ordre.
Quand le
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