La Chute Des Géants: Le Siècle
était une menace pour l’ordre social. On ne pouvait tout de même pas
traiter un assassinat à la légère. « Typiquement français, lança-t-il avec
dégoût.
— J’admire Mme Caillaux »,
dit Maud.
Fitz émit un grognement
réprobateur. « Comment peux-tu admirer une meurtrière ?
— Je pense qu’il faudrait
abattre plus de directeurs de journaux, répliqua Maud en pouffant. Cela
améliorerait peut-être le niveau de la presse. »
6.
Le lendemain, jeudi, quand il
rendit visite à Robert, Walter était toujours plein d’espoir : le kaiser
hésitait encore à franchir le pas, en dépit des pressions de bellicistes comme
Otto. Erich von Falkenhayn, le ministre de la Guerre, avait réclamé une
déclaration de Zustand drohender Kriegsgefahr, un préliminaire au
déclenchement des hostilités, mais le kaiser avait refusé, estimant qu’on
pouvait encore éviter la guerre si les Autrichiens acceptaient de s’arrêter à
Belgrade. Et lorsque le tsar avait ordonné la mobilisation générale, Guillaume
II lui avait envoyé un télégramme pour le supplier de revenir sur cette
décision.
Les deux monarques étaient
cousins. La mère du kaiser et la belle-mère du tsar étaient sœurs, deux filles
de la reine Victoria. Le kaiser et le tsar communiquaient en anglais et s’appelaient
entre eux Nicky et Willy. Ému par le câble de son cousin Willy, Nicolas II
avait annulé l’ordre de mobilisation.
Si les deux souverains ne
cédaient pas, l’avenir s’annonçait radieux pour Walter et pour Maud, sans
compter les millions d’hommes et de femmes qui souhaitaient simplement vivre en
paix.
L’ambassade d’Autriche était l’un
des bâtiments les plus imposants du prestigieux Belgrave Square. On conduisit
Walter au bureau de Robert. Ils s’échangeaient toujours des informations. Ils n’avaient
aucune raison de ne pas le faire : leurs deux pays étaient alliés. « Le
kaiser semble décidé à assurer le succès de son projet, annonça Walter en s’asseyant.
Si les Autrichiens s’arrêtent à Belgrade, tous les autres problèmes pourront
être réglés. »
Robert ne partageait pas son
optimisme. « Ce projet échouera, affirma-t-il.
— Mais pourquoi ?
— Nous ne nous arrêterons pas
à Belgrade.
— Fichtre ! s’écria
Walter. Tu en es sûr ?
— Les ministres se
réunissent demain matin à Vienne pour en décider, mais le résultat de leurs
discussions ne fait pas de doute. Nous ne nous arrêterons pas à Belgrade sans
garanties de la Russie.
— Des garanties ?
répéta Walter, indigné. Il faut cesser de se battre et discuter des problèmes ensuite. Vous ne pouvez pas commencer par demander des garanties !
— Nous ne voyons pas les
choses ainsi, j’en ai peur, répliqua Robert avec raideur.
— Mais nous sommes vos
alliés. Comment pouvez-vous rejeter notre plan de paix ?
— C’est facile. Réfléchis un
peu. Que pouvez-vous faire ? Si la Russie mobilise, vous serez menacés
vous aussi et vous devrez mobiliser. »
Walter allait protester, quand il
comprit que Robert avait raison : dès qu’elle serait mobilisée, l’armée
russe serait trop redoutable.
Robert poursuivit, impitoyable :
« Vous devrez vous battre à nos côtés, que vous le vouliez ou non. »
Il prit l’air contrit. « Je suis navré si je te parais arrogant. Je ne
fais que t’exposer la réalité.
— Damnation ! »
Walter avait envie de pleurer. Il s’était toujours refusé à désespérer, mais
les sinistres paroles de Robert l’avaient ébranlé. « Nous courons à la
catastrophe, n’est-ce pas ? Les partisans de la paix vont perdre la
partie. »
La voix de Robert s’altéra et son
visage se rembrunit. « Je l’ai su dès le début, dit-il. L’Autriche doit
attaquer. »
Jusque-là, il avait paru
impatient, joyeux même. Pourquoi ce changement ? « Tu vas sans doute
être obligé de quitter Londres, dit Walter pour le sonder.
— Toi aussi. »
Walter hocha la tête. Si l’Angleterre
entrait en guerre, tous les membres des ambassades autrichienne et allemande
devraient rentrer chez eux sur-le-champ. Il baissa la voix. « Ya-t-il… une
personne en particulier qui te manquera ? »
Robert acquiesça, les larmes aux
yeux.
Walter hasarda : « Lord
Remarc ?
— C’est tellement évident ?
demanda Robert avec un rire sans joie.
— Seulement pour quelqu’un
qui te connaît bien.
— Dire que Johnny et moi
pensions être discrets. » Robert
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