La Chute Des Géants: Le Siècle
communes était composée de
représentants élus, appelés « membres du Parlement ». Chambre haute
et Chambre basse se réunissaient au palais de Westminster, un édifice
néogothique construit à cet effet et orné d’un clocher que l’on surnommait Big
Ben même si, ainsi que Fitz aimait à le souligner, il s’agissait en réalité du
nom de la grosse cloche.
Lorsque Big Ben sonna midi en ce
mercredi 29 juillet, Fitz et Walter commandèrent un xérès sur la terrasse qui
dominait une Tamise particulièrement malodorante. Fitz contempla le palais d’un
œil satisfait : il était immense, riche et solide, à l’image de l’empire
que l’on gouvernait dans ses salles et ses corridors. Cet édifice semblait bâti
pour durer mille ans – mais l’empire survivrait-il aussi longtemps ?
Fitz tremblait en songeant aux menaces qui pesaient sur lui : des
syndicalistes qui incitaient le peuple à la révolte, des mineurs grévistes, le
kaiser, le parti travailliste, les Irlandais, les féministes – jusqu’à sa
propre sœur.
Toutefois, il se garda bien de
donner libre cours à ses idées noires, d’autant que son invité était un
étranger. « Cet endroit est comme un club, dit-il d’une voix enjouée. On y
trouve des bars, des restaurants et une excellente bibliothèque, et on n’y
admet que des gens respectables. » À cet instant passèrent un député
travailliste et un pair libéral. Fitz ajouta : « Bien que, de temps à
autre, la racaille réussisse à déjouer la surveillance du portier. »
Walter bouillait d’impatience. « Tu
as appris la nouvelle ? Le kaiser vient de faire volte-face. »
Fitz n’était pas au courant. « Comment
cela ?
— Il a dit que la réponse
des Serbes rendait tout conflit inutile et que les Autrichiens devraient s’arrêter
à Belgrade. »
Fitz se méfiait des plans de
paix. Ce qui lui importait le plus, c’était que l’Angleterre demeure la nation
la plus puissante du monde. Il redoutait que le gouvernement libéral ne lui
fasse perdre cette position, sous le stupide prétexte que toutes les nations
étaient également souveraines. Sir Edward Grey n’était pas un imbécile,
mais il risquait d’être renversé par l’aile gauche de son parti – sans nul
doute à l’instigation de Lloyd George . Ensuite, tout pouvait arriver.
« S’arrêter à Belgrade »,
répéta-t-il songeur. La capitale serbe se trouvait tout près de la frontière :
pour s’en emparer, les Autrichiens n’auraient même pas deux kilomètres à
parcourir à l’intérieur du territoire serbe. Les Russes pourraient alors
considérer cette intervention comme une banale opération de police qui ne les
menaçait en rien. « Je me demande… »
Si Fitz ne souhaitait pas la
guerre, une partie de lui-même en accueillait la perspective avec une secrète
satisfaction. Ce serait pour lui l’occasion de prouver son courage. Son père s’était
distingué lors de batailles navales, mais Fitz n’avait jamais vu le feu. Il y
avait certaines choses qu’on se devait de faire pour être digne du nom d’homme ;
se battre pour le roi et la patrie en faisait partie.
Un coursier en livrée de laquais – culotte
de velours et bas de soie blancs – s’approcha d’eux. « Bonjour,
monsieur le comte, dit-il. Vos invitées sont arrivées ; elles vous
attendent au restaurant. »
Quand il se fut éclipsé, Walter s’étonna :
« Pourquoi les obligez- vous à s’habiller ainsi ?
— Par tradition. »
Ils vidèrent leurs verres et
passèrent à l’intérieur. Le sol du couloir était recouvert d’un épais tapis
rouge et ses murs lambrissés de panneaux sculptés. Ils se rendirent au
restaurant des pairs. Maud et Herm étaient déjà assises.
C’était Maud qui avait eu l’initiative
de ce déjeuner. Walter n’était jamais entré dans le palais de Westminster,
avait-elle argué. Comme il s’inclinait devant elle et qu’elle lui souriait avec
chaleur, Fitz se demanda soudain s’ils n’étaient pas vaguement épris l’un de l’autre.
Non, c’était ridicule. Maud était capable de tout, certes, mais Walter était
bien trop raisonnable pour envisager un mariage anglo-allemand en cette période
de tension. Et puis, ils étaient comme frère et sœur.
Tandis que les deux hommes s’asseyaient,
Maud déclara : « J’ai passé la matinée dans ton dispensaire pour
enfants, Fitz. »
Il haussa les sourcils. « Parce
que c’est mon
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