La Chute Des Géants: Le Siècle
Ballin n’en est devenue que dix
fois plus importante. »
Maud était bien de cet avis. « Que
pouvons-nous faire ?
— Je dois savoir ce que le
gouvernement anglais en pense vraiment.
— Je vais tâcher de l’apprendre,
promit-elle, ravie de pouvoir faire quelque chose.
— Il faut que je retourne à
l’ambassade. »
Maud regarda Walter s’éloigner,
regrettant de ne pas pouvoir l’embrasser. La plupart des invités partirent en
même temps et elle s’éclipsa pour monter dans sa chambre.
Elle retira sa robe et s’allongea.
L’idée que Walter puisse partir à la guerre la fit fondre en larmes. Au bout d’un
moment, elle finit par s’endormir.
Lorsqu’elle se réveilla, il était
l’heure de sortir. Lady Glenconner l’avait invitée à une soirée musicale. Elle
fut tentée de rester à la maison puis songea qu’il y aurait peut-être un ou
deux ministres dans l’assistance. Elle pourrait apprendre quelque chose d’utile
pour Walter. Elle se leva donc et s’habilla.
Flanquée de tante Herm, elle
monta dans la voiture de Fitz qui les conduisit à Queen Anne’s Gate en
traversant Hyde Park. Elle reconnut parmi les invités son ami Johnny Remarc,
sous-secrétaire d’État à la Guerre ; surtout, Sir Edward Grey était
là. Elle décida de lui parler d’Albert Ballin.
Mais le récital commença avant qu’elle
ait pu l’aborder et elle s’assit pour écouter Campbell McInnes interpréter des
morceaux choisis de Haendel – un compositeur allemand qui avait passé l’essentiel
de sa vie en Angleterre, se dit-elle en savourant l’ironie.
Du coin de l’œil, elle observa Sir Edward.
Elle ne l’appréciait guère : il appartenait au groupe des impérialistes
libéraux, bien plus conservateur et traditionaliste que le reste de son parti.
Elle éprouva toutefois pour lui un élan de pitié. Déjà peu jovial de nature, il
était ce soir d’une pâleur cadavéreuse, comme si tout le poids du monde reposait
sur ses épaules – ce qui était somme toute le cas.
McInnes était un excellent
chanteur et Maud regretta que Walter ait été trop occupé pour venir, car il
aurait apprécié son talent.
Dès la fin du récital, elle se
précipita sur le ministre des Affaires étrangères. « Mr Churchill m’a dit
qu’il vous avait transmis un message fort intéressant d’Albert Ballin. »
Elle vit le visage de Grey se crisper, mais insista : « Si nous
restons à l’écart d’un éventuel conflit européen, les Allemands promettent de
ne pas annexer de territoires français.
— Quelque chose de ce
genre », confirma Grey d’une voix glaciale.
De toute évidence, elle avait
abordé un sujet malvenu. L’étiquette exigeait qu’elle en change sur-le-champ.
Mais elle ne se livrait pas à une simple manœuvre diplomatique : elle
voulait savoir si Fitz et Walter devraient se battre. Elle s’obstina donc. « Si
j’ai bien compris, notre souci majeur était de ne pas renverser l’équilibre des
forces en Europe, et j’ai cru comprendre que l’offre de Herr Ballin était plutôt
satisfaisante sur ce point. Me suis-je trompée ?
— Sur toute la ligne,
déclara-t-il. C’est une proposition infâme. » Il était à deux doigts de
perdre son sang-froid.
Maud était atterrée. Comment
pouvait-il repousser une telle ouverture ? Elle offrait une vraie lueur d’espoir !
« Auriez-vous l’amabilité d’expliquer à une femme, qui n’est pas aussi
versée que vous dans ces affaires, pourquoi vous vous montrez aussi catégorique ?
— Agir comme le suggère
Ballin ne ferait qu’encourager l’Allemagne à envahir la France. Nous nous
rendrions complices de cet acte. Nous commettrions une ignoble trahison.
— Ah ! je crois que je
comprends. C’est comme si quelqu’un nous disait : « Je vais
cambrioler votre voisin mais, si vous vous abstenez d’intervenir, je vous promets
de ne pas incendier sa maison. » C’est cela ? »
Grey se détendit un peu. « Excellente
analogie, dit-il avec un mince sourire. Je m’en resservirai.
— Merci, dit Maud sans
parvenir à dissimuler sa déception. Malheureusement, cela nous conduit bien
près de la guerre.
— J’en ai peur »,
confirma le ministre.
5.
Comme la plupart des parlements du
monde, celui du Royaume-Uni était constitué de deux assemblées. Fitz siégeait à
la Chambre des lords, qui réunissait les pairs du royaume, les évêques et
archevêques, et les hauts magistrats. La Chambre des
Weitere Kostenlose Bücher