La Chute Des Géants: Le Siècle
espions
anglais. Les héros de ces livres passaient leur temps à se frayer un chemin à
travers les broussailles, au cœur de la jungle ou dans les hautes graminées des
prairies américaines.
Mais ici, après dix-huit mois de
guerre, il n’y avait plus guère de broussailles, à peine quelques touffes d’herbe,
de rares buissons ou un arbre isolé çà et là, perdu au milieu d’un terrain
boueux criblé de trous d’obus.
Cette absence de couverture
végétale rendait sa mission d’autant plus dangereuse. Par cette nuit sans lune,
une explosion ou une fusée éclairante illuminait parfois brièvement le paysage.
Walter n’avait alors d’autre solution que de se plaquer à terre sans bouger. S’il
avait la chance de se trouver dans un cratère d’obus, il ne risquait pas trop
de se faire repérer. Sinon, il ne lui restait qu’à espérer que l’ennemi regarde
ailleurs.
Le sol était parsemé de bombes
anglaises qui n’avaient pas explosé. Walter calcula que près du tiers de l’armement
britannique était défectueux. Il savait que ce démagogue de Lloyd George ,
toujours soucieux de plaire aux foules, avait donné priorité à la quantité au
détriment de la qualité. Une erreur que les Allemands ne commettraient jamais,
songea-t-il.
Il atteignit enfin les barbelés
britanniques. Il les longea en rampant jusqu’à un passage, et s’y glissa.
Lorsque les lignes britanniques
se profilèrent devant lui, tel un trait de peinture noire sur fond de ciel
anthracite, il se laissa tomber à plat ventre et commença à se déplacer sans
bruit. Il devait s’approcher au plus près de l’ennemi pour pouvoir entendre ce
que les hommes se disaient dans les tranchées.
Toutes les nuits, les deux camps
s’envoyaient réciproquement des patrouilles. Le plus souvent, Walter
missionnait deux jeunes gens intelligents qui s’ennuyaient suffisamment pour se
laisser tenter par une aventure, aussi dangereuse soit-elle. Mais parfois il
préférait s’en charger lui-même, pour prouver qu’il était prêt à risquer sa vie
comme les autres, et aussi parce que ses propres observations étaient
généralement plus précises.
Il tendit l’oreille, guettant une
toux, un murmure, peut-être un vent, suivi d’un soupir d’aise. Le secteur
semblait parfaitement calme. Il se dirigea vers la gauche, rampa sur une
cinquantaine de mètres et s’arrêta. Il entendait maintenant un bruit inconnu – comme
le vrombissement de machines au loin.
Il reprit sa progression en
veillant à garder ses repères. Dans le noir, il était facile de perdre son sens
de l’orientation. Une nuit, après avoir longuement rampé, il s’était retrouvé
exactement à l’endroit où il avait franchi le barbelé : il avait tourné en
rond pendant une demi-heure.
Une voix dit tout bas : « Par
ici. » Il s’immobilisa. Le faisceau tamisé d’une torche électrique
traversa son champ de vision, telle une luciole. Dans la faible lueur, il
distingua à trente mètres de lui les silhouettes de trois soldats portant des
casques d’acier anglais. Il fut tenté de s’écarter en roulant sur lui-même,
puis craignit que ce mouvement ne trahisse sa présence. Il dégaina son pistolet :
quitte à perdre la vie, autant entraîner quelques ennemis dans la mort. Le cran
de sûreté se trouvait à gauche, juste au-dessus de la crosse. Il le souleva
avec son pouce et le fit basculer vers l’avant. Le déclic retentit à ses
oreilles comme un coup de tonnerre, mais les soldats britanniques ne semblèrent
pas l’avoir entendu.
Deux d’entre eux portaient un
rouleau de barbelé. Walter se dit qu’ils allaient remplacer une section
endommagée par l’artillerie allemande au cours de la journée. Je devrais
peut-être les abattre tout de suite, pensa-t-il. Un – deux – trois.
Demain, ce sont eux qui essaieront de me tuer. Mais il avait une tâche plus
importante à accomplir. Il se contenta donc de les regarder passer devant lui
et se fondre dans l’obscurité.
Ayant replacé le cran de sûreté
de son pistolet et rangé l’arme dans son étui, il se rapprocha encore de la
tranchée britannique.
À présent, le bruit était plus
fort. Il resta immobile un moment, plongé dans ses réflexions. Il comprit
soudain que c’était une foule qu’il entendait, une multitude d’hommes qui,
malgré tous leurs efforts, ne pouvaient pas se déplacer dans un silence absolu.
Ce bruit était fait de piétinements, de frottements de vêtements,
Weitere Kostenlose Bücher