La Chute Des Géants: Le Siècle
souhaite le bonjour, Lady Maud,
dit-il imperturbable. Il n’y a pas lieu de s’alarmer. Ce sont les canons.
— Les canons ? demanda Maud.
— En France, mademoiselle »,
répondit le majordome.
9.
Le tir de barrage de l’artillerie
britannique se poursuivit toute la semaine.
Il était censé ne durer que cinq
jours, mais à la consternation de Fitz, il n’avait fait beau que vingt-quatre
heures. Le reste du temps, malgré l’été, la pluie et les nuages bas avaient
empêché les canonniers d’ajuster leurs tirs et les avions de réglage n’avaient
pas pu leur communiquer les résultats sur le terrain. La tâche avait été
particulièrement difficile pour ceux qui étaient chargés de la contre-batterie – c’est-à-dire
de détruire l’artillerie allemande. Avec sagesse, l’ennemi ne cessait de
déplacer ses canons, de sorte que les obus anglais tombaient sur des positions
déjà évacuées sans causer le moindre dégât.
Enfermé dans l’abri détrempé qui
servait de quartier général à son bataillon, Fitz fumait le cigare d’un air
morose en essayant de ne pas entendre ce bruit sourd incessant. En l’absence de
photographies aériennes, les commandants des autres compagnies et lui-même
avaient lancé des raids contre les tranchées ennemies. Cela avait au moins
permis de se faire une idée un peu plus claire de la situation. Mais c’était
dangereux et les patrouilles qui s’attardaient ne revenaient pas. Les hommes
devaient donc observer le plus rapidement possible une courte section de la
ligne ennemie et rentrer immédiatement.
Au grand dam de Fitz, les
informations qu’ils rapportaient étaient contradictoires. Quelques tranchées
allemandes avaient effectivement été détruites, d’autres demeuraient intactes.
Des rangées de barbelés avaient bien été sectionnées, mais seulement par
endroits. Plus ennuyeux, certaines patrouilles avaient été repoussées par des
tirs ennemis. Si les Allemands continuaient à tirer, cela voulait évidemment
dire que l’artillerie britannique n’était pas arrivée à nettoyer leurs
positions.
Pendant le tir de barrage, la 4 e armée
avait fait très exactement douze prisonniers allemands. On les avait tous
interrogés séparément, mais ils avaient livré des renseignements divergents. C’était
exaspérant. Les uns disaient que leurs abris avaient été détruits, les autres
que les Allemands étaient tranquillement installés sous terre pendant que les
Anglais gaspillaient leurs munitions au-dessus de leurs têtes.
Les Anglais étaient dans une
telle ignorance des résultats de leurs bombardements que Haig décida de
reporter l’attaque prévue le 29 juin. Mais le mauvais temps perdurait.
« Il va falloir encore
annuler ! annonça le capitaine Evans pendant le petit déjeuner le 30 juin
au matin.
— Ça m’étonnerait, réagit
Fitz.
— On n’attaque pas tant qu’on
n’a pas confirmation que les défenses ennemies ont été détruites, insista
Evans. C’est un principe élémentaire de la guerre de siège. »
Tel avait été effectivement le
principe retenu à l’origine, au moment des préparatifs de l’offensive, mais
Fitz savait qu’il avait été abandonné par la suite. « Il faut être
réaliste, dit-il à Evans. Cela fait six mois que nous préparons cette attaque.
C’est l’offensive majeure de l’année. Nous y avons consacré tous nos efforts.
Comment pourrait-on l’annuler ? Haig serait contraint de démissionner.
Cela pourrait même faire tomber le gouvernement Asquith. »
La remarque irrita Evans. Le
rouge lui monta aux joues et sa voix partit dans les aigus : « Mieux
vaut que le gouvernement tombe que d’envoyer nos hommes se faire tailler en
pièces par des mitrailleuses dissimulées dans des tranchées. »
Fitz secoua la tête. « Regardez
les millions de tonnes de matériel qui ont été expédiées jusqu’ici par la mer,
les routes et les voies de chemin de fer qui ont été construites pour les
acheminer jusqu’à nous, les centaines de milliers d’hommes qui ont été
entraînés, armés et transportés sur le front depuis les quatre coins de la
Grande-Bretagne : qu’est-ce que vous voulez en faire ? Les renvoyer
tous en Angleterre ? »
Il y eut un long silence, puis
Evans répondit : « Vous avez raison, bien sûr, mon commandant. »
Mais ces paroles conciliantes étaient exprimées avec une rage difficilement
contenue. « À quoi bon les renvoyer en effet ?
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