La Chute Des Géants: Le Siècle
il avait l’impression d’être
engoncé. Rien de ce qui arriverait ici ne changerait jamais le monde, il s’en
rendait parfaitement compte.
Ils gravirent la colline jusqu’à
Wellington Row où ils découvrirent toutes les maisons pavoisées : l’Union Jack
côtoyait le dragon gallois et le drapeau rouge. Une banderole tendue en travers
de la rue portait ces quelques mots : « Bienvenue chez toi, Billy
Deux-fois ». Tous les voisins étaient sortis dans la rue où l’on avait
dressé des tables sur lesquelles étaient posés des pichets de bière et des
bouilloires de thé, des plats couverts de tartes, de gâteaux et de sandwichs.
Dès que Billy apparut, tout le monde entonna « We’ll Keep a Welcome in the
Hillsides », le chant gallois traditionnel de bienvenue.
Billy pleura.
On lui tendit une pinte de bière.
Une foule de jeunes gens admiratifs entouraient Mildred. Elle leur faisait l’effet
d’une créature exotique avec son accent cockney, ses vêtements londoniens et
son chapeau à bords démesurément larges, qu’elle avait garni de fleurs de soie.
Même quand elle faisait un gros effort pour bien se tenir, elle ne pouvait s’empêcher
de tenir des propos un peu grossiers comme « J’en avais gros sur la
patate, passez-moi l’expression ».
Gramper avait l’air plus vieux,
il était légèrement voûté, mais avait toujours l’esprit alerte. Il amusa Enid
et Lilian, faisant surgir des bonbons des poches de son gilet et leur montrant
comment il pouvait faire disparaître une pièce de monnaie.
Billy dut parler de ses camarades
disparus à toutes les familles en deuil : il évoqua Joey Ponti, Prophète
Jones, Grêlé Llewellyn et tous les autres. Il retrouva Tommy Griffiths, qu’il
avait vu pour la dernière fois à Oufa, en Russie. Le père de Tommy, Len l’athée,
était émacié ; il était atteint d’un cancer.
Billy devait reprendre la mine
lundi, et tous les mineurs tenaient à lui expliquer les changements intervenus
depuis son départ : de nouvelles galeries creusées plus profondément dans
les exploitations, davantage de lumières électriques, des mesures de sécurité
plus efficaces.
Tommy monta sur une chaise pour
prononcer un discours de bienvenue, auquel Billy dut répondre. « La guerre
nous a tous changés, dit-il. Je me rappelle le temps où l’on disait que Dieu
avait mis les riches sur cette terre pour nous gouverner, nous, les petits. »
Cette phrase fut accueillie par des rires goguenards. « Bien des hommes
sont revenus de cette illusion en combattant sous le commandement d’officiers
de la haute, à qui on n’aurait même pas dû confier la responsabilité d’une
excursion de patronage. » Les autres anciens combattants hochèrent la tête
d’un air entendu. « Ce sont des hommes comme nous qui ont gagné la guerre,
des hommes ordinaires, sans éducation, mais pas stupides. » Ils
approuvèrent par des Bien dit ! et des Bravo, bravo !
« Nous avons le droit de
vote, maintenant – et nos femmes aussi, pas toutes encore, comme ma sœur
Ethel s’empresserait de vous le rappeler. » Les femmes réagirent par
quelques acclamations. « La Grande-Bretagne est notre pays, et nous devons
prendre les choses en main, comme les bolcheviks l’ont fait en Russie et les
sociaux-démocrates en Allemagne. » Les hommes applaudirent. « Nous
avons un parti ouvrier, le parti travailliste, et nous sommes assez nombreux
pour le porter au gouvernement. Lloyd George nous a joué un sale tour aux
dernières élections, mais il ne s’en sortira pas comme ça une deuxième fois. »
Quelqu’un cria : « C’est
sûr !
— C’est pour ça que je suis
rentré. Les jours de Perceval Jones, député d’Aberowen, touchent à leur fin. »
On l’ovationna encore. « Je veux qu’un travailliste nous représente à la
Chambre des communes ! » Le regard de Billy croisa celui de son père :
le visage de Da était rayonnant. « Merci pour votre merveilleux accueil. »
Il descendit de la chaise et tous applaudirent frénétiquement.
« Joli discours, Billy,
remarqua Tommy Griffiths. Mais qui sera ce député travailliste ?
— Tu sais quoi, Tommy ?
Essaie de deviner. »
4.
Le philosophe Bertrand Russell s’était
rendu en Russie cette année-là et avait écrit un petit ouvrage intitulé Théorie et pratique du bolchevisme. Ce livre faillit provoquer un divorce
dans la famille Leckwith.
Russell s’y déclarait violemment
hostile aux
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