La Chute Des Géants: Le Siècle
plusieurs petites monarchies indépendantes
et avaient ensuite fait de l’Allemagne un des pays les plus prospères au monde.
Bien sûr, ils se trouvaient extraordinaires, mais cela les rendait imprudents.
Après avoir longé le Mail sur
quelques centaines de mètres, Walter et Otto pénétrèrent dans St James’s
Palace, un édifice de brique du XVI e siècle plus ancien et moins imposant
que Buckingham, le palais voisin. Ils donnèrent leur nom à un portier vêtu à
leur image.
Walter était vaguement anxieux.
Il était si facile de manquer à l’étiquette et, en présence d’un monarque,
aucune erreur n’était anodine.
Otto s’adressa au portier en
anglais : « Le señor Diaz est-il ici ?
— Oui, monsieur, il est
arrivé il y a quelques instants. »
Walter fronça les sourcils. Juan
Carlos Diego Diaz était un représentant du gouvernement mexicain. « Pourquoi
vous intéressez-vous à Diaz ? » demanda-t-il en allemand comme ils
traversaient une enfilade de pièces aux murs décorés d’épées et de fusils de
collection.
« La Royal Navy britannique
est en train de convertir ses bâtiments. Elle passe du charbon au pétrole. »
Walter acquiesça. La plupart des
pays avancés en faisaient autant. Le pétrole était meilleur marché, plus propre
et plus facile d’utilisation – il suffisait de le pomper pour remplir les
cuves au lieu de devoir employer des armées de chauffeurs au visage noir de
suie. « Et les Britanniques se procurent du pétrole au Mexique.
— Ils ont acheté les puits
de pétrole mexicains pour assurer l’approvisionnement de leur flotte.
— Mais si nous intervenons
au Mexique, comment réagiront les Américains ? »
Otto se tapota l’aile du nez. « Écoute
et apprends. Et, quoi qu’il advienne, tais-toi. »
Les hommes qui devaient être
présentés au roi faisaient antichambre. La plupart portaient la même tenue de
cour de velours, mais certains avaient endossé le costume d’opéra bouffe des
généraux du XIX e siècle. L’un d’eux était même en
grand uniforme, avec kilt – un Écossais sans aucun doute. Walter et Otto
flânèrent dans la salle, saluant d’un signe de tête des visages familiers dans
les milieux diplomatiques. Ils arrivèrent enfin devant Diaz, un homme trapu,
aux moustaches en crocs.
Après les civilités de rigueur,
Otto engagea la conversation : « Vous devez être satisfait que le
président Wilson ait levé l’embargo sur la vente d’armes au Mexique.
— La vente d’armes aux
rebelles », précisa Diaz, comme pour rectifier ses propos.
Le président Wilson, toujours
prêt à défendre la morale en politique, avait refusé de reconnaître le général
Huerta, qui était arrivé au pouvoir après l’assassinat de son prédécesseur.
Considérant Huerta comme un criminel, Wilson soutenait un groupe rebelle, les
constitutionalistes.
« S’il est permis de vendre
des armes aux rebelles, sans doute peut-on également en vendre au gouvernement ? »
Diaz eut l’air extrêmement
surpris. « Êtes-vous en train de me dire que l’Allemagne serait prête à le
faire ?
— De quoi avez-vous besoin ?
— Vous savez certainement
que nous manquons cruellement de fusils et de munitions.
— Nous pourrions en reparler
plus longuement. »
Walter n’était pas moins étonné
que Diaz. Pareille démarche pouvait avoir de graves conséquences. « Mais,
père, objecta-t-il, les États-Unis…
— Un moment ! »
Son père leva la main pour le faire taire.
« Je poursuivrai cette
discussion avec grand plaisir, fit Diaz.
Mais dites-moi : y a-t-il d’autres
sujets que vous seriez susceptible d’aborder ? » Il devinait que l’Allemagne
réclamerait des contreparties.
La porte de la salle du trône s’ouvrit
et un valet de pied sortit, une liste à la main. La présentation allait
commencer. Otto enchaîna hâtivement : « En temps de guerre, un État
souverain a le droit de refuser de laisser sortir de son territoire certaines
fournitures stratégiques.
— Vous voulez parler du
pétrole. » C’était la seule production mexicaine dotée d’un intérêt
stratégique.
Otto opina du chef.
« Ainsi, vous nous donneriez
des armes…
— Nous vous les vendrions,
murmura Otto.
— Vous nous vendriez des
armes en échange de la promesse de ne pas livrer de pétrole aux Britanniques
dans l’éventualité d’une guerre. » De toute évidence, Diaz n’était pas
rompu aux finasseries
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