La Collection Kledermann
courait déjà à travers les salons.
— Merci, mon Dieu ! exhala la vieille dame en laissant retomber les cartes qu’elle s’apprêtait à étaler pour la… énième fois.
L’instant suivant ils l’entouraient, parlant tous à la fois. Elle prit sa canne et en frappa vigoureusement le sol.
— Un peu de silence ! intima-t-elle. On ne s’entend plus respirer ! Inutile de vous demander si vous avez pris le temps de dîner…
— On n’a pas très faim, dit Aldo, mais un petit remontant serait le bienvenu !
— Parle pour toi ! Moi, je crève de faim ! Les émotions me font toujours cet effet-là. Tu devrais le savoir !
— Parce que vous en avez eu ? émit Plan-Crépin dont les narines se dilataient.
Mais M me de Sommières coupa court :
— Vous patienterez un peu ! Allez voir à la cuisine ce qu’Eulalie a dû tenir au chaud pendant que nous passons à table. Vous, Cyprien, allez vous coucher ! L’humidité ne vaut rien à vos rhumatismes – ni d’ailleurs aux miens ! –, l’un de ces messieurs fera le service !
— Moi ! réclama Adalbert. En bon célibataire je me débrouille mieux qu’un homme marié !
Ce fut à qui serait le plus efficace ! Marie-Angéline revenait presque au pas de course avec un imposant pâté en croûte dont la cheminée laissait échapper des effluves délicieusement odorants tandis qu’il avait rempli les verres de beaujolais Saint Amour, non sans avoir déjà vidé le sien sous prétexte de « taster » le vin. Après quoi il entreprit de découper le chef-d’œuvre qui, avec une salade, un brie de Meaux et une crème sabayon composait le repas. Pendant ce temps-là, Aldo racontait sa visite à M me Branchu et Marie-Angéline buvait ses paroles :
— Vous dites qu’elle est amoureuse de Grindel ? Mais comment avez-vous découvert ça ? Ce n’est pas – et de loin ! – le favori du quartier.
— Je n’en sais rien. Une intuition, je pense ? Il a suffi que je prononce son nom sur un certain ton pour que je voie s’allumer dans ses yeux une lueur… et nous nous sommes entendus très vite ! Surtout quand je me suis présenté…
— Ben voyons, ricana Adalbert. Le sourire ravageur joint au titre princier, c’est imparable !
— Cette rengaine, il y avait longtemps que tu ne me l’avais pas servie ! Si c’est le cas, cesse un peu de bâfrer et continue ! C’est d’ailleurs le plus intéressant de la soirée et ton verbe est incomparable ! Après tout moi aussi j’ai faim !
Et il se consacra à son assiette tandis qu’Adalbert retraçait la scène surprise par la fenêtre des Bruyères blanches… et obtint un succès mesurable au silence qui suivit. Plan-Crépin réagit la première :
— Le cousin Gaspard fils du chauffeur de ses parents !… Je voudrais savoir comment Lisa prendrait la chose si elle le savait. Parce que je suppose qu’il s’est gardé de lui en faire part ?
— Oh, je la crois très capable de ne pas y accorder une extrême importance, telle que je la connais ! répondit Aldo. Cela ne change rien au fait qu’il soit le neveu de son père et donc son cousin germain.
— Je pense comme toi ! soupira Tante Amélie. Elle n’a aucune de ces petitesses du vulgaire ! Et, à son propos, tu seras sûrement content d’apprendre que j’ai reçu ce matin une lettre de Valérie von Adlerstein !
— Ah, que dit-elle ? Comment vont les enfants… et Lisa ?
— Une question à la fois, s’il te plaît ! Les enfants vont à merveille comme d’habitude et Lisa un peu mieux !
— Comment l’entend-elle ? fit Aldo, soudain légèrement fébrile.
— Je la cite. Elle explique que les effets désastreux des drogues qu’on lui a fait prendre s’estompent petit à petit. Elle se consacre aux enfants…
— Elle s’en est toujours beaucoup occupée ! remarqua-t-il avec un rien de mélancolie.
— Oui, mais à présent, quand ils parlent de leur père, elle leur répond ! Valérie dit que tu ne dois surtout pas perdre courage !
Sur les nerfs crispés d’Aldo, ces quelques mots agirent comme un baume. Se pouvait-il qu’il y eût encore un espoir pour le couple si uni qu’ils formaient naguère, Lisa et lui ?…
10
Une nuit de rêve
Le moment d’émotion passé, on avait discuté autour de la table de ce qu’il convenait de dire à Langlois. Marie-Angéline, qui regrettait toujours d’être allée se confier à lui après sa visite chez Grindel, était d’avis qu’on ne lui raconte rien du tout !
— Ça, c’est impossible
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