La Collection Kledermann
madame de Thèbes ! Allez quérir vos outils !
— Oh non ! Pas ce soir !
— Et pourquoi pas ? Il est reconnu que la nuit est propice aux manifestations des esprits !
— Ne mélangeons pas tout ! Entre tirer les cartes et faire tourner les guéridons, il y a un monde… et même plus : un univers ! J’ajoute que les cartes ne répondent pas forcément à l’appel qu’on leur adresse. Il y a des jours où je ne vois rien…
— Comment font, alors, celles qui commercialisent leur talent ? Elles reçoivent des dizaines de personnes à la suite !
— Certaines doivent pratiquer la transmission de pensée et c’est déjà pas mal ! D’autres font marcher leur imagination. Les vraies ne sont pas nombreuses et reçoivent peu. La meilleure, dont je tairai le nom, est même très capable de renvoyer une cliente – ou un client ! – en lui disant : « Désolée, mais je ne vois rien ! Revenez un autre jour ! »
M me de Sommières se mit à rire :
— Et, bien entendu, c’est à la messe de six heures que vous apprenez les sciences occultes ? Je croyais que l’Église n’était pas d’accord ?
— L’Église ne peut pas être d’accord mais elle n’a jamais refusé les prophètes.
— Une seule question, Angelina, trancha Aldo qui observait la scène avec amusement. Après quoi on vous laissera tranquille parce que vous avez le droit d’être fatiguée et qu’il se fait tard…
— Vous êtes un saint homme, vous ! Posez votre question !
— Cette idée fixe que semble vous inspirer la villa Malaspina, c’est à vos supports divinatoires que vous la devez ?
— En partie, mais en partie seulement, car je suis loin d’être infaillible. Quelque chose me souffle que ce serait une folie de s’en désintéresser. Il s’y trouve un élément que je ne saurais définir mais qui n’est pas bon !
— Ça, on s’en doutait un peu ! bougonna Adalbert. Le seul fait qu’elle appartienne… ou ait appartenu à la clique Borgia, c’est tout un programme, et s’il est avéré qu’elle devienne une clinique, je plains les gens qui s’y feront soigner ! Même si le cadre est enchanteur, les déprimés et autres malades des nerfs en sortiront fous à lier ! En admettant qu’ils en sortent un jour ! Quant à vous, Marie-Angéline, je ne vous tiens pas quitte ! Va pour ce soir, mais demain vous y passez ! Que voulez-vous, ajouta-t-il en s’extirpant de son fauteuil, je ne suis peut-être pas un saint homme, moi, mais je vous avouerai qu’il y a des années que j’ai envie d’aller frapper à la porte d’une de ces bonnes femmes et que je me retiens pour ne pas être ridicule à mes propres yeux.
En l’entendant, Aldo fut pris d’une quinte de toux qui colora son visage en rouge brique au souvenir d’un certain soir, alors qu’Adalbert et lui couraient après les émeraudes de Montezuma, où il avait voulu vérifier les étonnantes prédictions – selon le barman du Ritz – d’un « voyant » qui tenait ses assises quai d’Anjou. Cet homme dont il reconnaissait qu’il possédait un regard envoûtant lui avait prédit la victoire dans une affaire qui lui occupait l’esprit – ce qui lui avait fait grand plaisir – mais avait omis de lui annoncer qu’en sortant de chez lui il allait se faire attaquer par des malfrats qui l’avaient assommé, traîné sous le pont Marie, dépouillé de tout ce qu’il avait sur lui, à l’exception de sa chemise, de son pantalon et de ses boutons de manchettes, lesquels avaient fait le bonheur d’un pochard dépourvu de numéraire. Il s’était hâté de les convertir en beaujolais au bistrot le plus proche. Ce qui avait d’ailleurs permis de retrouver Aldo… Alors, les prédictions !…
— De toute façon, je t’abandonne mon tour ! déclara-t-il en allant embrasser Tante Amélie. Je n’ai pas envie d’en savoir plus sur la suite des catastrophes qui ne cessent de me tomber dessus ! Et je vais essayer de dormir !
Le surlendemain, les deux femmes partaient pour Lugano et Aldo déménageait chez Adalbert après avoir pris soin d’avertir Langlois de son changement de domicile au cas où… Mais les écoutes téléphoniques n’avaient toujours rien donné et Sauvageol, relayé par un confrère, campait pratiquement nuit et jour au fond d’une voiture banalisée sans perdre de vue les grilles des Bruyères blanches. En se demandant si ça allait durer encore longtemps !…
L’arrivée de M me de Sommières et de Plan-Crépin à la villa
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