La Collection Kledermann
faire les comptes. Le nouveau venu avait été accueilli d’autant plus chaleureusement que l’on avait dû renvoyer la femme de ménage que l’on avait surprise l’œil collé à la serrure de la porte de la pseudo-Mrs. Albina Santini qui ne sortait jamais de sa chambre quand celle-ci était là. Sauvageol étant prévenu qu’il devait jouer les valets de bonne maison et éventuellement les cuisiniers, l’accord s’était conclu d’autant plus vite que le Texan, toujours fidèle à lui-même, lui avait fait entendre que policier ou pas, il entendait rétribuer ses services à leur juste valeur. Après quoi Boleslas avait été prié de montrer sa chambre au voyageur. C’est là que les choses avaient commencé à se gâter…
L’envahisseur nanti d’un logis, Boleslas s’était précipité chez le professeur :
— L’homme de la police, il doit coucher ici ?
— Naturellement ! Qu’est-ce que tu croyais ?
— Je ne sais pas, moi ! Qu’il dormirait à l’auberge ou dans la cabane du jardin… Il est venu pour surveiller, non ?
— Pour enquêter ! Nuance ! Il est notre lien avec la police judiciaire !
— Et il va falloir le nourrir ?
Occupé à parfaire son grimage pour ses quelques heures de représentations quotidiennes, Combeau-Roquelaure se retourna sur sa chaise pour considérer le Polonais avec stupeur :
— Mais enfin, Boleslas, qu’est-ce qui te prend ? On ne t’a jamais caché qu’il allait venir. Alors ça rime à quoi ton histoire ? Si tu ne peux pas te faire à l’idée de passer un certain temps avec ce garçon, je vais devoir te renvoyer à Chinon. Je te rappelle en plus qu’il te donnera un coup de main aux fourneaux, ce qui ne sera pas un luxe.
Boleslas exhala un soupir :
— J’essaierai de ne pas le voir, voilà tout !
— Tâche d’être au moins poli ! L’affaire dans laquelle nous sommes engagés ne peut te permettre des états d’âme ! Compris ?
— Je ferai de mon mieux ! assura-t-il la main sur le cœur et les yeux au ciel, affichant la mine pathétique du chrétien attendant dans l’arène de servir de casse-croûte aux fauves.
On s’en tint là et les jours qui suivirent furent relativement paisibles. Boleslas faisait son service avec naturel – du moins il le pensait ! – en s’efforçant de se persuader que son ennemi était devenu transparent, ce qui lui donnait l’air aussi peu naturel que possible. Ce qui n’échappa pas à Sauvageol qui s’en ouvrit au « jardinier » :
— On dirait que ma tête ne lui revient pas ?
— Ce n’est pas la tête, lui répondit Wishbone, c’est la corporation ! Vous êtes policier.
— Et il ne les aime pas ? C’est un ancien repris de justice ?
— Non, un ancien musicien mais il faut comprendre ! Il est polonais et jusqu’à son arrivée en France il a vécu dans la crainte des flics des Soviets puis de ceux de Hitler.
— … et quand il est arrivé chez nous, les préposés à notre circulation, s’ils ne l’ont pas malmené, ne lui ont pas montré plus de considération ! reprit le professeur qui avait entendu.
— Je fais quoi, moi, dans ces conditions ?
— Votre travail comme s’il n’était pas là. Il faudra juste vous forcer un peu quand vous irez au marché tous les deux !
— Il serait peut-être plus simple que j’y aille à sa place ! Quelques fois ? proposa le Texan. Je suis jardinier après tout ! Ensuite vous irez tout seul !
Ce fut, en effet, la solution. Né dans le midi de la France et parlant parfaitement l’italien, aimable et facilement bavard, Sauvageol remporta même un vif succès. Il plaisait aux femmes sans être antipathique aux hommes avec lesquels il buvait volontiers un verre. Et, bientôt, on lui confia qu’on le préférait de beaucoup à ce « bizarre Polonais qui avait toujours l’air de porter Dieu en terre » et ne cessait de fredonner de la musique triste.
À son contact, les langues se délièrent plus facilement au sujet des maîtres de la villa Malaspina. Il apprit ainsi qu’au temps du « vieux seigneur » – probablement ce « Luigi Catannei » qui avait trouvé la mort sous les décombres du château de la Croix-Haute –, on y donnait de belles fêtes mais qu’il était parti un jour pour l’Amérique et n’en était jamais revenu. En revanche, son fils César avait reparu plusieurs années auparavant et remis la villa en état mais le ton changeait quand on l’évoquait et il n’était pas difficile de comprendre qu’on ne
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