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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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NOTE
    On trouvera ici quatre conférences sur Tourguéniev, prononcées à la Société des Conférences, au printemps de 1930. Hors quelques additions, je n'en ai pas modifié le texte. Mais j'ai développé et divisé en deux parties la quatrième conférence, qui était la plus importante à mes yeux. Mes sources étaient : l'œuvre de Tourguéniev, les livres de MM. Yarmolinsky, Haumant, Halpérine Kaminsky, Edward Garnett; l'étude de M. Paul Bourget dans les Essais de Psychologie Contemporaine, le Journal des Goncourt, la préface d'Edmond Jaloux pour Dimitri Roudine, et enfin les notes de M. Henri Mongault dans son édition des Mémoires d'un chasseur. Pour l'histoire de la Russie, je me suis surtout servi de Platonov; pour la description de la Russie au temps de la jeunesse de Tourguéniev, du livre de Custine; pour le portrait de Bakounine, de l'ouvrage de Mademoiselle Iswolsky; pour Herzen, de la thèse de M. Labry. M. Mazon avait eu la très grande obligeance de me communiquer les épreuves de sa remarquable édition des notes laissées par Tourguéniev. Je dois aussi des remerciements à M. Charles Salomon et à M. Semenoff qui, l'un et l'autre, ont bien voulu lire les épreuves de ce livre dans la Revue Hebdomadaire; à M. Jousserandot qui m'a signalé quelques erreurs, enfin à M. Paul Boyer et à Mademoiselle Tourgueneff qui ont suivi mon travail avec bienveillance. M. CharlesSalomon m'a autorisé à reproduire les parfaites traductions des poèmes en prose qu'il a données aux Editions de la Pléiade. Enfin quelques amis russes ont traduit pour moi des textes inédits en français.
    Je crois nécessaire de répéter au sujet de Tourguéniev ce que je disais au début d'un livre de même nature sur Dickens. Il est impossible, en quatre conférences, de traiter des sujets aussi complexes que la vie de Tourguéniev, l'histoire de la Russie de son temps, l'analyse critique de ses œuvres. Je prie donc le lecteur de ne considérer ce travail, bien qu'il ait été fait avec soin, que comme une esquisse. Qu'il le complète lui-même, s'il en a la volonté et le loisir, en lisant au moins les Mémoires d'un chasseur, Dimitri Roudine, Fumée, Pères et Enfants et les poèmes en prose. Quant à la vie de Tourguéniev, j'espère que l'excellente biographie de M. Yarmolinsky sera quelque jour traduite.

I
    Jeunesse d'un seigneur russe
    Débuts littéraires
    Il est difficile, pour un Français de 1930, d'imaginer ce qu'était un seigneur russe de 1820. Le développement de la société avait suivi, dans ce pays, une marche presque exactement contraire à celle de l'Europe occidentale. On a le sentiment, quand on lit une histoire de Russie, que l'on tourne à rebours un film représentant le Moyen Age français. Chez nous, le servage avait lentement disparu; chez les Russes, il s'était lentement établi. L'Etat, au dix-septième siècle, avait eu besoin des nobles et leur avait, en échange de leurs services, concédé de vastes domaines dont la culture devait être assurée par les paysans. Peu à peu le paysan était devenu attaché à la terre, puis à la personne du propriétaire. Un seigneur ou, comme on disait en Russie, un barine, possédait mille, deux mille, cinq mille âmes. L'usage s'était même établi de vendre les paysans sans la terre et la loi avait fait un délit de la protection d'un serf en fuite.
    Au dix-huitième siècle, le gouvernement de la grande Catherine, théoricienne libérale et législatrice despotique, avait consolidé et même renforcé l'autorité des propriétaires. Ils avaient obtenu le droit de déporter les paysans qui leur avaient manqué de respect. L'oeuvre de Tourguéniev est pleine de moujiks que le maître mariecontre leur gré. S'ils refusent, on leur rase la tête et on les envoie à l'armée pour vingt-cinq ans. Le paysan est un esclave. Son maître peut le fouetter, le vendre. Le moujik doit faire vivre son seigneur, soit par la corvée, soit par la redevance. « Ces pauvres gens, — écrit en 1839 M. de Custine qui, royaliste ultra en France, est tout étonné de se trouver libéral en Russie, — ces pauvres gens n'ont rien à eux, ni leur chaumière, ni leurs femmes, ni même leurs cœurs. »
    Ce serait une erreur psychologique et historique que d'imaginer les seigneurs russes de ce temps-là comme des êtres plus « méchants » que d'autres. Les hommes sont rarement étonnés par les privilèges qu'on leur accorde. Nous connaissons bien ces Russes des années

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