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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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cria un enfant.
    Il y eut un moment de flottement, la foule grondait et Célestin se vit un instant débordé, piétiné, jeté sur les rails, écrasé par le train.
    — Baïonnette au canon ! ordonna le lieutenant.
    En voyant briller l’acier au bout des fusils, les gens prirent peur. Le flot recula, on s’écrasait contre les portes.
    À la passerelle ! hurla un gros bonhomme à moustaches.
    En quelques secondes, les quais furent presque désertés, il ne resta plus que quelques curieux qui voulaient voir les Allemands de près, tandis que le reste de la troupe prenait d’assaut la passerelle qui enjambait les voies. Déjà, le train s’approchait dans un grand panache de fumée blanche.
    Qu’est-ce qu’on fait, lieutenant ? demanda Fachon.
    J’ai ordre de surveiller les quais, pas la passerelle. Et puis c’est trop tard.
    En effet, les premiers projectiles rebondissaient déjà sur les toits des wagons. On avait entassé les prisonniers dans des fourgons à bestiaux et le conducteur du train, comme un bateleur aux effets faciles, ralentissait à dessein de façon à laisser la foule exprimer sa haine. Un petit groupe d’adolescents s’était faufilé jusque sur les voies et balançait des bouteilles vides qui venaient se briser aux barreaux des petites ouvertures des wagons. Des injures fusaient, des mots simples et crus qui appelaient la mort et le carnage. Dans les voitures, rien ne bougeait. Seul, accroché aux barreaux d’une des fenêtres, un homme au visage émacié, portant un grand bandeau taché de sang en travers du front, observait la ville et ses habitants déchaînés, si loin de la guerre. Les éclats de verre qui passaient à le frôler ne semblaient pas l’effrayer, il restait immobile et comme fasciné par ces appels au meurtre, ces cris de vengeance qu’il ne comprenait pas bien et qui lui semblaient si violents, si étranges dans la bouche de civils qui n’avaient pas connu les combats. Lorsque le train entra en gare, à vitesse réduite, Célestin ne put s’empêcher de se retourner. Il vit dans la petite ouverture du wagon ce visage blessé, impassible et sévère, il échangea avec ce prisonnier inconnu un regard singulièrement triste, c’était comme si cet homme pour qui la guerre était déjà terminée lui disait :
    — Ne va pas là-bas, tu ne reconnaîtras plus rien, ni les autres ni surtout toi-même.
    — Louise, qu’est-ce que vous regardez ? l’interrompit le lieutenant.
    Célestin sursauta et s’arracha à sa contemplation. Le train quittait déjà la gare. Une autre escouade s’était engagée sur les voies et sur la passerelle, repoussant la foule qu’une joie mauvaise avait ragaillardie. Les parents entouraient d’un bras protecteur leurs gamins lanceurs de pierres, fiers de leur pauvre exploit. Quelques femmes tremblaient d’indignation d’avoir pu entrevoir même de loin, ces barbares féroces qui allaient tuer leurs fils ou leurs maris. Il y eut encore quelques cris d’imbéciles et la troupe dégagea les quais et les voies sans rencontrer de difficulté. Le retour à la caserne fut l’occasion pour les soldats, déconcertés par cette première mission inattendue, d’échanger les maigres informations qu’ils avaient pu récolter ici ou là, de colporter les rumeurs qui traînaient d’un casernement à l’autre ou d’exorciser par quelques mauvaises plaisanteries la peur qui les tenait au ventre. Aussi lorsque le soir même on leur annonça qu’ils partaient pour le front dès le lendemain matin, la plupart d’entre eux en furent soulagés : tout valait mieux que cette attente interminable peuplée de fausses nouvelles, de discours de propagande et de communiqués que les journaux reprenaient en les amplifiant, en les déformant, en tâchant d’y lire entre les lignes les avancées et les revers d’une armée dont, au fond, on ne savait pas grand-chose. Cette nuit-là, ils ne dormirent pas beaucoup. Célestin écrivit à sa sœur, beaucoup d’autres à leurs femmes et les plus jeunes à leurs parents. L’automne avait fraîchi d’un coup, il ne restait plus rien des chaleurs de l’été, la brume tombait souvent le soir, elle se levait du fleuve et glissait sur la ville. Dans les dortoirs, on fermait en frissonnant les fenêtres. La salle de classe où s’était entassée la section de Célestin était éclairée par quelques bougies tremblotantes. Les paquetages étaient faits. Quatre hommes jouaient aux cartes dans un

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