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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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coin, en étouffant leurs rires et leurs algarades. Célestin, assis au bord de l’estrade, fumait une cigarette en pensant à Joséphine. La reverrait-il un jour ? Et comment s’y prendrait-il pour la retrouver ? Aurait-il le culot de retourner au terrain vague près des usines ? Il écrasa sa cigarette en se disant qu’avant tout, il faudrait rentrer de la guerre, ne pas y laisser sa peau. Il se rappela ses parents, son père qu’il revoyait toujours très grand et sec, avec des mains immenses, et sa mère, à la fois discrète et malicieuse, qui menait son mari par le bout du nez en donnant l’impression de la plus grande docilité.
    Célestin, au fond, était soulagé qu’ils ne fussent plus là pour l’attendre, pour s’inquiéter de son sort : c’était bien assez d’avoir une sœur à rassurer. Leur père, employé d’octroi, avait été assassiné par un commerçant ivre qui ne voulait pas payer la taxe, et leur mère avait été emportée par le chagrin, quelques mois plus tard. Célestin, alors, avait dix ans. Il s’allongea et s’enroula dans sa couverture. Il allait fermer les yeux quand un soldat entra, considéra la classe envahie par la troupe, ôta son casque et se passa le revers de la main sur le front. C’était Germain Béraud, le pickpocket.
    — Salut, Germain. Qu’est-ce que tu fiches ici ?
    Le petit voleur sursauta, on eût dit un moment qu’il allait prendre les jambes à son cou.
    — Assieds-toi donc, fit Célestin en se redressant. De toute façon, il n’y a pas de place ailleurs.
    Germain s’assit du bout des fesses au bord de l’estrade. Il expliqua en chuchotant au policier qu’on l’avait finalement intégré à sa section.
    — Ils ne voulaient plus de toi à côté ?
    Germain baissa la tête sans répondre.
    — Ça va, ne me dis rien, tu as encore eu les mains qui traînaient… Pas de ça ici, hein ?
    L’autre acquiesça. Célestin lui fit une place près de lui, sous le grand tableau qui s’était couvert, au fil des semaines, de graffitis obscènes, de slogans militaristes et de prénoms de femmes. La dernière flamme d’une bougie éclaira un cœur percé d’une flèche et marqué d’initiales, et puis ce fut la nuit, la dernière nuit avant le front.

Chapitre 3
AU FRONT
    Le jour pointait à peine. Près de deux cents soldats étaient alignés dans la cour de la caserne. Paquetage sur le dos, fusil au pied, ils écoutaient un capitaine leur parler d’honneur, de devoir et de courage. Dans la fraîcheur du petit matin, des bouffées de vapeur s’échappaient de la bouche de l’officier, accentuant l’aspect fantomatique de la scène. En bout de colonne, le lieutenant de Mérange, comme les autres officiers, était immobile sur son cheval, on aurait dit une statue si l’animal n’avait pas frissonné de temps en temps, comme s’il avait deviné qu’il allait lui aussi vers son lot de souffrances.
    — En avant, marche !
    La longue colonne de soldats se mit en route. Les chefs avaient demandé à quelques tambours et clairons d’accompagner la marche vers la gare, attirant tout du long les habitants de la ville. L’enthousiasme débordant du début de la guerre avait cédé la place à la gravité, on pouvait même lire de la pitié dans les yeux des femmes. Comme devant un cortège de condamnés à mort, beaucoup d’hommes se découvraient. Les nouvelles du front étaient inquiétantes, on se doutait désormais que la guerre serait longue. Le régiment s’entassa dans des wagons à bestiaux, les mêmes que ceux qui avaient servi à transporter les prisonniers allemands. Le sol était couvert de paille. Célestin balança son barda dans un coin et se cala contre la cloison. Le petit Germain vint s’installer près de lui, un peu embarrassé quand même de se trouver près du flic.
    — Je connais personne d’autre, avoua-t-il en haussant les épaules.
    Sans répondre, Célestin se contenta de lui offrir une cigarette. Les portes se refermèrent et le train démarra. Le gros Flachon se colla le visage à la petite ouverture.
    — Adieu, monde cruel ! lança-t-il, théâtral.
    — Pourquoi que tu dis ça, Flachon ? C’est pas ce monde-ci qu’est cruel, c’est plutôt là où qu’on va.
    Flachon se retourna vers son interlocuteur, un paysan des environs de Pithiviers, un gaillard qui s’appelait Gabriel Fontaine.
    — Qui vivra verra, souffla le gros Flachon en se laissant tomber sur la paille.
    — Vivre, c’est bien

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