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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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proche, il se jetait à terre et ne bougeait plus jusqu’à ce que la pierraille et les éclats de métal aient fini de rebondir autour de lui. Il quitta ainsi péniblement la zone des combats et s’enfonça dans un chemin qui prenait la bonne direction. Au loin, l’écho des explosions, près de lui, le vent qui s’engouffrait dans les halliers décharnés et le bruit humide de ses pas dans la boue. Toute la faune de ces campagnes ravagées avait disparu, il ne restait que les rats, ces grosses bestioles répugnantes et grasses, repues de cadavres et de rations moisies. Pourtant, au fur et à mesure qu’il avançait, Célestin se rapprochait d’une plainte animale. D’abord à peine perceptible, elle envahit bientôt la nuit entière. C’était le cri d’une insupportable souffrance, elle vrillait les tympans, elle donnait envie de crier à son tour. Quand il fut assez près, Louise reconnut un cheval éventré qu’un obus perdu avait presque coupé en deux. Sans doute l’avait-on cru tué sur le coup, et le voilà qui se réveillait de son enfer pour hurler à la mort. Célestin arma son fusil et, d’une balle dans la tête, acheva l’animal. Il reprit sa route, crut à plusieurs reprises se perdre, chuta lourdement sur une pierre en saillie et, tandis qu’une vague lueur marquait l’est, se trouva enfin devant une étendue sans limite, un plateau en friche qui semblait se dérouler jusqu’à l’horizon. Là, quatre flambeaux avaient été fichés en terre, qui délimitaient un double amoncellement : d’un côté, un énorme monticule de terre, de l’autre, un empilement de cadavres. Au milieu, comme le gardien de cette improbable géhenne, une silhouette longiligne finissait de creuser la fosse. Célestin reconnut La Guimauve. Celui-ci, absorbé par sa terrible besogne, ne le voyait pas. Il s’approcha du tas de corps et, en attrapant un par les pieds, le dégagea de la pile. Il le traîna ensuite jusqu’à la fosse où il le fit basculer. C’est en relevant les yeux qu’il aperçut Louise. Il ne parut même pas étonné.
    — Vous venez m’aider ?
    — Tu es là depuis combien de temps ?
    — J’ai oublié. Je préfère pas savoir. On m’avait dit que vous étiez mort.
    — Je ne suis pas passé loin. Mon lieutenant a été tué à côté de moi, le lieutenant de Mérange. Il a été ramassé sur le champ de bataille, on l’a sans doute transporté ici.
    — Ici, il n’y a plus d’officiers, plus de soldats, plus d’artilleurs, plus de fantassins : il n’y a que des morts.
    — Je veux le voir. Je veux retrouver son corps.
    La Guimauve écarquilla des yeux étonnés, puis esquissa un triste sourire.
    — Je vous laisse fouiller. Moi, il faut que je continue à les enterrer. Si je repère un lieutenant, je vous le dirai.
    Et pendant qu’Octave reprenait son travail de fossoyeur, Célestin se plongea dans les morts. La flamme tremblante des torches leur donnait parfois une vie artificielle. Beaucoup d’entre eux, dont le visage n’avait pas été touché, semblaient dormir. Il se dégageait de cette accumulation de cadavres un mélange d’horreur et de paix. En voulant amener à lui un des corps, Célestin se retrouva avec un bras séparé du reste, un bras raide et tout sanglant. Écœuré, il le rejeta loin de lui. Il crut alors reconnaître le visage du lieutenant, tout en haut de la pile. Grimpant sur les autres, il tenta d’accrocher le corps, mais il perdit l’équilibre et sombra dans la macabre mêlée. Il se mit à paniquer, se sentant happé par les défunts, étouffé par tous ces soldats morts qui voulaient l’entraîner avec lui en enfer. Il hurla. Une poigne vigoureuse le tira du cauchemar : c’était La Guimauve, impassible.
    — Faut pas avoir peur, ils ne feront plus de mal à personne.
    Célestin, penaud, reprit sa respiration.
    — Je crois que je l’ai trouvé, votre lieutenant.
    Octave avait étendu sur le bord de la fosse un corps vêtu de l’uniforme de lieutenant du 134 e d’infanterie. C’était bien Paul de Mérange. Célestin s’approcha et le retourna : on voyait encore distinctement l’impact de la balle au milieu du dos. La Guimauve l’observait aussi.
    — Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Il a tourné le dos à l’ennemi ?
    — Non, justement. Il faut que je l’emmène.
    — Où ça ?
    — À Vailly, à l’hôpital.
    — À l’hôpital ? Mais ils prennent pas les morts !
    — Je n’ai pas d’autre médecin

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