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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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de lui.
    Le repas était terminé. On réattela les chars de munitions et les affûts des canons. Les chevaux de trait, obéissants et tranquilles, pour la plupart munis d’œillères, inspiraient à Célestin de la pitié et une irrépressible tristesse. Compagnons muets et dociles, ils allaient à la mort sans se plaindre. Les hommes ingrats et démunis laissaient pourrir leurs cadavres éventrés au bord des routes et ces grandes carcasses obscènes étaient les premières à dire l’horreur du champ de bataille. Un cheval pour un canon, deux chevaux côte à côte pour les caisses d’obus, le convoi s’ébranla. Les hommes, silencieux, enveloppés dans leurs grands manteaux trempés de pluie, fumaient des cigarettes de tabac gris qui sans cesse s’éteignaient. Ils s’arrêtaient un instant, le temps de les rallumer, puis reprenaient leur marche lourde. Célestin avait pu engager la conversation avec un Toulousain bavard et plein d’accent qui évoquait en souriant son baptême du feu.
    — On s’était installés au beau milieu d’un champ de blé tout jaune, tout doré, tout juste moissonné, il y avait encore les gerbes. On dispose nos batteries, on fait quelques tirs de réglage pendant que le commandant monte à l’échelle d’observation. Et voilà qu’une drôle de musique se fait entendre et je vois les balles qui font des trous dans les gerbiers tout autour. Je me réfugie sous l’échelle, le commandant me demande ce que je fais là. Et, pardi, il est dur d’oreille, il n’avait rien entendu ! Je lui montre un impact de balle, tu l’aurais vu descendre de son perchoir en vitesse !
    — Et vous avez tiré, ce jour-là ?
    — Bien sûr, on a couvert l’attaque du 24 e d’infanterie. Ils avaient cousu des mouchoirs blancs sur leurs paquetages, pour qu’on les voie bien et qu’on leur tire pas dessus. Mais les Boches les attendaient de pied ferme sur le bord d’une petite rivière, ils ont eu pas mal de pertes.
    À l’évocation des morts, le visage du Toulousain s’était rembruni. Il tomba lui aussi dans le silence. Le convoi était parvenu à un embranchement. Les artilleurs devaient se déployer au flanc d’une colline dévastée qu’on devinait à peine derrière le rideau de pluie. Célestin les salua puis s’enfonça dans un petit chemin boueux au bout duquel commençaient les premiers boyaux d’accès aux tranchées. Il croisa un cycliste qui revenait du front.
    — Quelles sont les nouvelles ?
    — Ordres et contre-ordres : quatre fois, on s’est préparés à attaquer, quatre fois, l’état-major a annulé. La prochaine fois sera la bonne.
    — Façon de parler. La troisième section, celle du lieutenant de Mérange, elle est bien par là ?
    Le cycliste le regarda bizarrement.
    — Ouais, elle est en réserve. Mais il est mort, ton lieutenant.
    — Je sais.
    — Saleté de guerre ! conclut le cycliste qui fit un petit salut et s’éloigna.
    Célestin reprit sa marche. Au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans le boyau d’accès, il avait le sentiment étrange d’entrer dans la guerre. C’était comme si la nature se dépouillait peu à peu de tous ses atours, plus un arbre, plus une fleur, plus un seul brin d’herbe, rien que la terre nue, les pierres et la boue comme un espace presque abstrait où laisser les hommes se battre. Puis venaient les débris de l’armée en campagne, bouts de bois, de tissu, fanions brisés, morceaux de métal rouillés, gamelles et quarts tordus, percés, bouteillons écrasés, caisses éventrées et même, ici ou là, plus cocasses ou plus émouvantes, des chaussures dépareillées, sans lacet et parfois sans semelle. Seules échappaient à cette liste de détritus les douilles des balles dont le cuivre, récupéré par les soldats, leur servait à fabriquer des bagues ou des coupe-papier.
    Flachon fut le premier à voir Célestin. Il abandonna le rondin avec lequel il essayait d’étayer son bout de tranchée pour venir au-devant du policier.
    — Ah ben merde ! Ils t’ont renvoyé au casse-pipe, ces salopards ?
    — C’est signe que je ne vais pas si mal. On est où, ici ?
    — Dans l’ancienne tranchée boche. On a gagné du terrain, mon pote. Et t’as vu ce confort ? Y’a pas à dire, question construction, ils s’y connaissent un peu !
    De fait, la tranchée allemande, plus large, plus profonde, comportait quelques abris en dur et même un système d’évacuation pour l’eau. Il avait

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