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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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avec un brancard supportant un blessé. Louise chargea sur son dos le corps déjà raidi de Paul de Mérange et les suivit. À l’intérieur, il n’y avait plus un seul espace libre. Travées, allées, absides et absidioles, pas un recoin qui ne reçût son blessé, son mourant. Sous les voûtes encore debout résonnaient les gémissements dont les échos, répercutés par les chapiteaux et les arcs, formaient un chœur lugubre qui prenait des allures de blasphème. Trébuchant parfois sur une jambe inerte, sur une béquille, sur un corps endolori auquel il arrachait sans le vouloir un cri étouffé, Célestin parvint jusqu’au maître-autel qu’un simple rideau de toile blanche protégeait des regards des blessés. Sans hésiter, il franchit le mince barrage de tissu. L’autel, dépouillé de tous ses ornements et simplement recouvert d’une toile cirée de laquelle dégouttait encore du sang, servait de table d’opération. Un médecin-major épuisé, les yeux vides, écroulé sur un tabouret, faisait une courte pause tandis que la sœur qui l’assistait nettoyait comme elle le pouvait, avant la prochaine opération. Louise balança le corps sur l’autel. La religieuse, effrayée, poussa un petit cri. Le médecin se contenta de relever la tête, évalua le corps et murmura sans élever la voix :
    — Cet homme est mort, soldat. Enlevez-le d’ici.
    — Je sais qu’il est mort, major. Est-ce que vous pouvez extraire la balle qui l’a tué ?
    Le chirurgien eut un regard effaré. Il n’avait plus la force de se mettre en colère, mais il fit une grimace de dégoût.
    — C’est pour conserver en souvenir ? Vous êtes un malade, mon vieux.
    — Non, docteur, je suis un flic. Cet homme a été assassiné.
    — Comme tout le monde, comme tous les autres. La guerre est une manière d’assassinat. Collectif et officiel.
    — J’ai besoin que vous récupériez la balle qui l’a tué, j’en ai besoin pour mon enquête.
    — Parce que vous faites une enquête ?
    Il se leva et, dans un grand geste théâtral, désigna la foule des éclopés allongés dans l’église.
    — Et pour eux, vous ne faites pas d’enquête ? Ils sont peut-être victimes de la folie d’un général, de l’imprudence d’un colonel, de la lâcheté d’un commandant, ça ne vous intéresse pas ?
    — Cet homme commandait ma section. Je pense qu’il a été assassiné par un Français. Je veux en être sûr.
    — Foutez le camp.
    Célestin fixa le major, puis fit glisser la bretelle de son fusil le long de son bras. Il arma son Lebel et le braqua sur le médecin.
    — Je vous demande de récupérer cette balle ou je vous tue.
    La bonne sœur, dépassée par les événements, ouvrait de grands yeux stupéfaits. À sa grande surprise, le chirurgien éclata de rire.
    — Vous voulez me tuer ? Vous croyez me faire peur ? Jour et nuit, j’ai les mains dans le sang, dans la chair et les tripes, je vois les cœurs battre à vif, je coupe des bras, des jambes, je recouds des visages qui n’ont plus rien d’humain, et vous pensez m’effrayer ? Non seulement je n’ai pas peur de mourir, jeune flic, mais parfois, je me dis que ça me reposerait.
    Célestin se mit à trembler. La fatigue, le manque de sommeil, l’émotion, et cet homme, mi-dieu, mi-diable, que plus rien n’effrayait… Il tomba à genoux, lâchant son fusil qui rebondit sur la pierre. Malgré lui, sans qu’il pût rien faire pour les retenir, des larmes glissèrent sur ses joues. Le sourire s’effaça sur le visage du major.
    — Asseyez-vous. Ma sœur, passez-moi des ciseaux et un scalpel.
    Célestin, hébété, s’assit sur le petit tabouret pendant que le médecin, en quelques gestes rapides et précis, avait mis à nu le dos du lieutenant. Louise ferma les yeux. Il y eut des craquements de cartilages, des bruits humides, puis de nouveau la voix toute proche du médecin, debout devant lui. Il tenait entre ses doigts une balle.
    — La balle est passée entre deux côtes et lui est allée droit au cœur. Il est mort sur le coup, il n’a pas souffert. Tenez, monsieur le policier.
    Il lui donna le petit morceau de plomb que Célestin mit dans sa poche.
    — Je m’appelle Louise, Célestin Louise.
    — Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ? Débarrassez-moi du corps.
    Ramenant les pans déchirés de la veste sur la blessure ouverte, large, dans le dos, Célestin chargea une nouvelle fois la dépouille du lieutenant de Mérange sur

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