La cote 512
son dos. Il s’éloigna de l’autel en faisant attention aux marches qui descendaient vers la nef centrale. Au milieu des plaintes des blessés, il entendit le major :
— Allez, ma sœur, suivant !
Avant d’abandonner le cadavre du lieutenant aux fossoyeurs de l’hôpital, Célestin vérifia qu’il ne restait rien dans ses poches. Mais la fouille avait été effectuée soigneusement et il ne portait plus ni papiers, ni montre, ni bague, ni même son alliance. Dix heures sonnaient à la cloche éraillée de l’église dévastée lorsque Célestin prit une nouvelle fois le chemin de la tranchée. Il reconnut la colline que les artilleurs avaient maintenant désertée, s’égara en voulant faire le tour d’un petit étang et se retrouva sur un tronçon de voie ferrée dont les rails bombardés, coupés, avaient basculé au dévers du ballast. Il s’arrêta un moment, le temps de retrouver sa route. Le bruit sourd d’une canonnade au loin lui donna la direction du champ de bataille. Il allait reprendre sa marche lorsqu’un coup de feu éclata. Une balle siffla à son oreille et alla se ficher dans ce qui restait d’un poteau télégraphique, le long de la voie. Il se jeta à plat ventre, arma son fusil, attendit. Plus rien. Un rat qui détalait le fit sursauter. Au bout de quelques instants, il se mit à ramper, estimant au jugé l’endroit d’où était parti le coup de feu. Il arriva ainsi en surplomb d’un chemin creux qui aboutissait aux premiers boyaux d’accès. Dans la boue s’entrecroisaient les marques de pneu des vélos des estafettes, les empreintes plus profondes des sabots des chevaux et les traces de pas des fourriers qui se superposaient à celles de la dernière relève. Célestin se montra, regarda autour de lui sans apercevoir âme qui vive puis retourna à la voie ferrée. Avec son couteau, il arracha du poteau la balle qui avait failli le tuer. Elle était abîmée et en grande partie écrasée.
Louise la compara à celle récupérée dans le corps du lieutenant, mais il ne s’y connaissait pas suffisamment en munitions de guerre pour pouvoir tirer une conclusion, même si, apparemment, les deux projectiles semblaient du même calibre. Il les remit dans sa poche et se hâta jusqu’à la tranchée, se retournant fréquemment, troublé par l’idée qu’on avait voulu le tuer. Était-ce une erreur ? Était-ce un éclaireur allemand infiltré dans les lignes françaises ? Ou son enquête dérangeait-elle déjà quelqu’un ? Mais qui pouvait être au courant ? Ces questions se bousculaient dans sa tête lorsqu’il rejoignit la section. Ils n’avaient pas été relevés et se trouvaient toujours en première ligne. Le fourrier venait d’apporter le rata et la plupart des hommes se dépêchaient de l’avaler. Flachon l’aperçut en premier.
— Merde ! V’là Louise !
Les autres levèrent sur l’arrivant des yeux inquiets et consternés. Célestin n’eut pas le temps de dire quoique ce fût, il se sentit soulevé du sol et projeté contre la paroi de la tranchée. Sonné, il vit se dresser devant lui la silhouette massive de Charic.
— Alors, pétochard, où est-ce que tu étais allé te planquer ?
— Je voulais retrouver le corps du lieutenant.
— C’est ça ! Et pour quoi faire ? Tu es amoureuse, Louise ?
Satisfait de son mauvais jeu de mots, Charic se mit à rigoler puis, d’un coup, redevint sérieux.
— Désertion devant l’ennemi, tu sais ce que ça vaut ? Toi qui es flic, tu t’y connais, en punitions, non ? Alors ?
— On applique la loi martiale. Je dois passer en conseil de guerre.
— Bravo.
Il considéra Célestin avec dégoût.
— T’es pas clair, Louise, et moi, les types pas clairs, je ne supporte pas ça. J’espère qu’on va te fusiller. Je n’ai pas envie de faire la guerre avec des lopettes dans ton genre.
Au moment où il disait ces mots, le ciel leur tomba sur la tête. Une salve d’obus de 155 bien ajustée, à peine précédée d’un trop court sifflement, pulvérisa la tranchée. Certains hommes avaient eu tout juste le temps de se mettre à couvert dans les abris, les autres furent déchiquetés. À moitié enseveli, Célestin luttait pour se dégager. En face de lui, Charic n’avait pas bougé, un rictus figé sur son visage de brute. Il s’écroula d’un coup, l’arrière du crâne réduit en bouillie. Célestin, abasourdi, contemplait cet homme qui, quelques secondes auparavant, le condamnait
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