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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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passion pour ce sport particulièrement ingrat au point de terminer second de l’épreuve Paris-Brest en 1903. Engagé au service de la famille de Mérange à la Teisserie, dans la Sarthe, comme garde-chasse, il a de nouveau été impliqué dans une sordide affaire de meurtre et innocenté in fine par Jean de Mérange. Il a devancé son incorporation et a été affecté à une compagnie de cyclistes au GQG du général Lanrezac, à Soissons. Le dossier n’en dit pas plus, il semble que vous ayiez d’autres renseignements sur cet individu dont il conviendra, semble-t-il, de vous méfier. Quoi qu’il en soit, n’oubliez pas que, momentanément, ce n’est plus à la police judiciaire que vous appartenez, mais à l’armée française. Bien cordialement, commissaire Auxence Minier. »
    — Si je comprends bien, conclut Germain, Jean de Mérange était son seul alibi : il pouvait lui demander ce qu’il voulait.
    — Oui, jusqu’à ce que l’autre se retourne un jour contre lui.
    — Il est mort avant. N’empêche, le vrai coupable, c’est Mérange. Et lui, il est bien tranquille, planqué dans son usine. Sans compter qu’il va mettre la main sur la bourgeoise.
    — Ça, j’en suis moins sûr.
    Des beuglements avinés se firent alors entendre, provenant de la tranchée d’en face. Des lumières s’agitèrent au-dessus des parapets allemands, et soudain, sans prendre aucune précaution, les soldats ennemis quittèrent leurs abris et s’avancèrent au milieu des barbelés, brandissant des torches allumées, des bouteilles d’alcool, des paquets de cigares, et même des jambons entiers. Les Français s’étaient rués aux créneaux et regardaient, incrédules, éberlués.
    — Qu’est-ce qu’on fait, mon lieutenant ? demanda Flachon à Doussac.
    — Prenez des boîtes de singe, des cigarettes et quelques bouteilles de vin, après tout, c’est Noël. Mais ne vous attardez pas.
    Peuch protesta.
    — On ne va quand même pas fraterniser avec les Boches, non ?
    — On ne tire pas sur des soldats désarmés.
    — On n’a qu’à les faire prisonniers.
    — Ils ne se sont pas rendus. Nous sommes en face d’une situation exceptionnelle, je compte sur vous pour qu’elle le reste.
    Alors, s’étonnant eux-mêmes de leur audace et de cet instant de grâce qui rapprochait les deux camps, la section s’avança à la rencontre des Allemands qui continuaient à hurler des chansons et des encouragements. Le contact fut bref, simple échange de cadeaux rudimentaires, quelques mots lancés qu’on comprenait mal, mais dont on devinait le sens, et qui devaient parler de fatigue, de froid, des familles laissées au pays. Les Français regagnèrent leur tranchée et goûtèrent les cigares et les alcools allemands ; ceux d’en face occupèrent le no man’s land jusque fort avant dans la nuit et ne s’en allèrent qu’après avoir gueulé un improbable « Stille Nacht » sous les étoiles de décembre.
    — On n’a même pas fait de bataille de boules de neige, nota Flachon, perplexe.
    Les six premiers mois de l’année 1915 condamnèrent les hommes à l’alternance épuisante des séjours en première ligne, puis en seconde ligne, puis au repos. Rien n’avait été prévu pour le confort des fantassins qui devaient rivaliser d’ingéniosité pour survivre dans le froid et l’humidité, souvent mal nourris et même assoiffés lorsque, au cours des combats, le ravitaillement en eau n’arrivait pas. Alors on faisait fondre la neige ou on se risquait jusqu’aux rares sources que l’ennemi n’avait pas empoisonnées. Le maréchal Joffre s’obstinait dans sa tactique du « grignotage » des positions allemandes, tactique d’autant plus coûteuse en hommes que les soldats des deux camps s’étaient perfectionnés dans le combat de tranchées, ajoutant à leur arsenal différents types de grenades et des mortiers extrêmement destructeurs. Quand on n’était pas touché, il fallait passer de longues nuits à remettre en état la tranchée, à dégager les abris, à déterrer les morts, les blessés et les quelques miraculés ayant survécu indemnes aux ensevelissements. Chacun avait déjà tué, et déjà failli mourir. Dans les cimetières improvisés à l’arrière, les croix de bois s’alignaient en d’effrayantes perspectives. Au printemps, la section de Célestin toucha ses nouveaux uniformes dits « bleu horizon », supposés moins voyants que les fameux pantalons garance. Il y

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