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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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avait aussi des casques qui n’empêchaient pas les blessures à la nuque ni les gueules cassées. Fontaine, obsédé par les rats, s’était mis à les piéger, il en tuait le plus qu’il pouvait, récoltant la maigre prime d’un sou par tête promise par l’état-major. Mais les rats proliféraient et devenaient de plus en plus gros, de plus en plus audacieux. Comme des petits démons subalternes, ils parcouraient en couinant l’enfer des tranchées, faisant leur profit de la moindre miette tombant des rations, seuls et sinistres compagnons des hommes dans ce bourbier que les oiseaux avaient déserté. Peuch s’était mis à boire, trois litres de vin par jour, sans compter l’eau de vie avant les assauts. Tous écrivaient à leurs femmes, à leurs mères, à leurs familles, sans oser raconter la moitié de ce qu’ils vivaient. Au mois de mars, des pluies torrentielles inondèrent les tranchées, mettant au jour des cadavres décomposés, mêlant à la boue les excréments des latrines. Les hommes pataugeaient dans la merde dont ils ne sentaient même plus la pestilence. Et du même ciel bouché continuaient de tomber les obus de tous calibres, tuant aveuglément, mutilant, secouant ces hommes qui avaient même oublié qu’on pouvait vivre en paix. Les premières permissions ne furent accordées qu’à la fin du mois de juin, et presque exclusivement aux paysans qui devaient aller moissonner. Certains d’entre eux mirent plusieurs jours avant de se comporter normalement, d’oser serrer dans leurs bras leurs compagnes et leurs enfants.
    Célestin, avec l’aide du commissaire Minier, avait obtenu une semaine à l’écart du front. Il n’avait pas oublié la promesse qu’il avait faite à
    Claire de Mérange et, sans s’arrêter à Paris, fila directement jusqu’au Mans. Cette fois, comme il n’avait pas prévenu de sa visite, personne n’attendait à la gare. Il trouva un vieux couple d’agriculteurs qui rentraient dans un petit village, à quelques kilomètres de la Teisserie. Ils le firent monter à l’arrière de leur carriole que tirait un mulet ascétique. Le vieux, qui avait deux fils à la guerre, posait des tas de questions auxquelles Célestin, embarrassé, essayait de répondre comme il pouvait. Comment dire à ce pauvre homme toute l’horreur des jours de guerre, l’angoisse, l’épuisement, la peur, la mort ? Autour d’eux, de chaque côté du petit chemin, la nature était splendide, célébrant loin du massacre des champs de bataille un printemps magnifique. Des primevères d’un jaune pâle presque translucide s’étaient ouverts sur le bord des fossés, pâquerettes et boutons d’or illuminaient les haies dans lesquelles les rouges-gorges, les bouvreuils et les moineaux étaient venus nicher. Ils parvinrent à une patte d’oie. Le chemin qui partait sur la gauche conduisait à la Teisserie. Lorsque Célestin leur avait indiqué sa destination, le vieux avait échangé un regard entendu avec sa femme. Plus tard, le jeune homme les questionna, ils émirent seulement un énigmatique :
    — Les choses ne sont plus comme dans le temps.
    Célestin les remercia et s’avança sous les arbres. Les branches basses formaient un couvert qui filtrait la lumière du soleil. Des myriades de petits insectes venaient jouer autour des rayons qui passaient à travers les feuillages. Une émotion lui serrait la gorge, faite d’appréhension, de fatigue et d’une inquiétude diffuse. L’assassin était mort, mais son commanditaire régnait toujours sur le domaine et sur la fabrique. Que s’était-il passé entre Claire et lui pendant ces longs mois de guerre ? L’avait-il persuadée de son innocence ? Avait-elle au contraire laissé croître ses soupçons jusqu’à anticiper l’insupportable vérité ? Marchant dans les flaques de lumière, il se prit à imaginer que Jean de Mérange avait finalement réussi à séduire Claire et qu’ils s’aimaient sur le cadavre de Paul. Une mince silhouette noire apparut au détour de l’allée. Célestin reconnut Hortense. Son visage s’était allongé, marqué de rides, ses yeux avaient perdu leur éclat et gagné une fixité qui lui donnait l’air d’une folle. Elle aussi avait reconnu le policier, elle se planta devant lui au milieu du chemin.
    — On n’en veut plus, de votre sale guerre ! Partez d’ici !
    — Je viens voir Claire. Comment va-t-elle ? Et votre fils, vous avez des nouvelles ?
    — Claire va mal et Maurice

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