La cote 512
continuant à courir, comprenait que l’homme allait lui échapper lorsqu’un moteur, tout près, le fit se retourner : dans un champ qui longeait le chemin, un biplan venait d’atterrir. Le moteur tournait encore. Franchissant le talus, Célestin courut à la rencontre du pilote qui, déjà, ôtait son casque. Il eut la chance de reconnaître Daviel qui lui fit un signe amical.
— Voilà l’homme qui transporte les morts. Comment allez-vous, cher ami ?
— Bien, monsieur. Je n’ai pas le temps de tout vous expliquer, mais je dois rattraper un cycliste qui vient de s’enfuir par là. Je pense qu’avec votre avion…
— J’ai des informations urgentes à transmettre à votre colonel, je crains de ne pas pouvoir vous aider.
— Je vous en prie, c’est l’affaire de quelques minutes. Et je vous jure que cet homme est dangereux.
— C’est votre fameux assassin ?
— C’est lui.
— Dans ce cas, ayez l’amabilité de faire pivoter cet aéronef sur son axe et de grimper derrière moi.
Célestin s’exécuta. L’avion prit de la vitesse et, malgré le sol inégal, réussit à décoller avant le rideau d’arbres qui masquait un petit ruisseau. Il prit de la hauteur et s’inclina en une large courbe. Très vite, Célestin repéra Kerivin. Le cycliste fonçait comme une brute sur le chemin qui menait à un hameau entièrement détruit, parallèlement à la ligne de front. Il portait toujours son masque, ce qui lui donnait l’air d’un animal étrange lancé au milieu d’un paysage dévasté. Le pilote l’avait lui aussi remarqué. Il piqua dessus. Célestin eut l’impression qu’ils allaient s’écraser, mais Daviel redressa au dernier moment. Dans leur sillage, le cycliste avait perdu l’équilibre et chuté lourdement, il ne bougeait plus. Louise cria à Daviel d’atterrir, l’autre fit un signe d’impuissance. Par bonheur, une portion de route épargnée par les obus s’ouvrit devant eux, leur permettant de se poser tant bien que mal. Célestin hurla un remerciement et l’avion n’était pas encore complètement stoppé qu’il se jetait hors du cockpit. Il avait abandonné son fusil au décollage. Il vérifia qu’il portait toujours son couteau à la ceinture et obliqua vers le chemin qu’avait emprunté le cycliste. Il retrouva l’endroit de la chute. Le vélo, une roue tordue, était abandonné en travers du bas-côté. Célestin regarda autour de lui. Il eut tout juste le temps d’apercevoir Kerivin, posté sur un talus en surplomb, qui l’ajustait avec un pistolet. Il se jeta à terre, une balle siffla à ses oreilles. Deux autres firent gicler de la boue près de son visage. Le jeune homme rampa pour se mettre à couvert derrière un bouquet d’arbres déchiquetés par des obus. Il y eut encore deux coups de feu, puis plus rien. Prudemment, il jeta un coup d’œil hors de son abri. Personne. Le couteau à la main, il progressa par bonds jusqu’à l’endroit d’où l’autre lui avait tiré dessus. Kerivin avait disparu. Au-delà du talus s’étendait ce qui avait dû être autrefois un champ cultivé et qui n’était plus qu’un terrain vague semé de trous d’obus et de replis de terre chaotiques. Il flottait encore dans l’air des relents de gaz qui piquaient désagréablement le nez, mais trop épars pour qu’on pût en distinguer des nappes dangereuses. Un cri horrible jaillit d’un des cratères, un peu plus loin, suivi de hoquets désespérés. Célestin se précipita et se jeta au bord du trou, passant juste la tête pour voir à l’intérieur. Kerivin était là, se débattant dans une flaque verte de gaz accumulé au fond du cratère, les deux mains crispées pour tenter en vain de colmater une longue déchirure du masque, sans doute provoquée par sa chute à vélo. Louise, qui ne disposait plus de protection, était incapable de lui venir en aide. L’homme parvint pourtant à se hisser hors des fumées nocives, mais il était trop tard. Il s’écroula. Célestin parvint à le hisser hors du trou d’obus. Le cycliste respirait encore par à coups, mais son visage bleuissait et sa bouche grand ouverte laissait déjà passer un râle d’agonie.
— Kerivin… Est-ce que vous m’entendez ?
Le Breton tourna les yeux vers Célestin.
— C’est vous qui avez tué le lieutenant Paul de Mérange, n’est-ce pas ?
L’autre hocha faiblement la tête. Il fit un ultime effort et murmura :
— Jean… Jean voulait sa mort…
— Jean
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