La cote 512
est mort. Vous n’avez rien à faire ici, vous sentez le cadavre.
— Il faut que je parle à Claire, elle me l’a demandé.
Hortense resta quelques secondes à le considérer, elle semblait habitée par une extraordinaire colère puis d’un coup ses épaules s’affaissèrent, elle se recroquevilla, tourna les talons et disparut derrière une haie. Célestin reprit sa route, impressionné par cette apparition qui confirmait ses mauvais pressentiments. La grande demeure dormait sous le soleil. Bernadette montait le perron, un panier de linge sous le bras. Célestin se hâta pour la rattraper avant qu’elle ne fermât la lourde porte d’entrée.
— Bonjour. Je suis Célestin Louise, vous me reconnaissez ?
La domestique acquiesça. Le jeune homme demanda à voir Claire de Mérange. Bernadette hésita un instant puis se résolut à le faire entrer. Elle lui demanda d’attendre, elle monta au premier étage, il demeura seul dans le corridor presque froid ou bourdonnait seulement une grosse mouche noire. Il eut envie de repartir, il n’apportait rien au fond que du malheur et du ressentiment, une vérité que tous s’efforçaient d’éviter et qu’il allait les obliger à regarder en face. Enfin, Bernadette réapparut.
— Madame vous attend dans sa chambre.
Comme elle ne faisait même pas mine de l’accompagner, Célestin s’avança jusqu’à l’escalier. Au moment où il mettait le pied sur la première marche, Bernadette le retint par le bras.
— Elle ne va pas bien. Ménagez-la.
— Je vous le promets. Monsieur de Mérange est à l’usine ?
Bernadette hocha la tête. Célestin monta l’escalier et déboucha sur le palier. La porte de la chambre n’était pas fermée. Il allait frapper lorsque la voix de Claire s’éleva.
— Entrez, monsieur Louise. À vrai dire, je ne vous attendais plus.
Le jeune homme s’avança dans la pièce où d’épais rideaux maintenaient une semi-obscurité. Claire était assise dans un large fauteuil, quelques revues étalées à ses pieds. Sur une petite table était posé un plateau avec une tasse et une tisanière. La jeune femme portait un peignoir entrouvert sur une combinaison de soie qui laissait voir un triangle de peau blanche et la naissance de ses seins. Elle ne fit même pas semblant de se couvrir. Plus qu’abandonnée, elle semblait perdue. Célestin s’inclina devant elle, elle lui montra un fauteuil où il s’assit. Elle dégageait dans son alanguissement un charme fort qu’un parfum nouveau et capiteux accentuait.
— Je ne pensais pas que la guerre vous épargnerait.
— Il fallait que je revienne madame, comme vous me l’aviez demandé.
— Vous n’y étiez pas obligé. Mais je suis heureuse de vous revoir. Depuis la mort de Paul, la vie ne m’intéresse plus. Et vous allez me parler de lui.
— En effet.
En quelques phrases concises, Célestin mit Claire de Mérange au courant de ce qui s’était passé à la fin de l’année précédente. La jeune femme fronça les sourcils, tout cela lui paraissait incompréhensible.
— Ainsi, notre garde-chasse Kerivin est mort, lui aussi. Et c’est lui qui a tiré sur Paul ?
— J’en ai les preuves, madame.
— Je vous crois. Mais pourquoi ? Pourquoi, bon sang ? Que lui avait-il fait ?
Célestin eut un moment de trouble. Claire désirait s’aveugler, il était impossible qu’elle n’entrevît pas la vérité, mais quelque chose en elle la poussait violemment.
— Votre beau-frère était très lié avec Kerivin.
— Vous plaisantez ? Jean, fréquentant cette brute alcoolique ? C’est impossible.
— Il lui a pourtant évité l’échafaud en témoignant pour lui.
— C’était la moindre des choses, non ?
— S’il a dit la vérité.
Claire se figea. L’allusion de Célestin était trop évidente. Pendant un court instant, elle tenta encore de rejeter l’inconcevable.
— Mais pourquoi… pourquoi Jean aurait-il menti ?
— De cette façon, Kerivin ne pouvait plus rien lui refuser. Il avait sur lui un pouvoir absolu, le pouvoir de vie et de mort.
— Et il s’en est servi ?
— Il s’en est servi, oui. Contre votre mari.
La jeune femme baissa la tête, accablée, puis se révolta une dernière fois.
— C’est de la folie. C’est la guerre qui vous fait divaguer !
— Kerivin a avoué, il m’a tout révélé juste avant de mourir.
— C’est faux !
Claire se leva d’un coup et se dirigea vers la fenêtre. Elle
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