La couronne de feu
quelques heures plus tard.
– Eh quoi, Jeanne, dit-il, encore souffrante ! Quels aliments ont pu...
– Les aliments n’y sont pour rien, monseigneur. Le seul qui me conviendrait serait le pain des anges, mais on s’obstine à me refuser la communion. Je souffre de ne pouvoir faire mes Pâques, comme jadis à Domrémy.
Il lui répéta qu’elle ne serait admise à la sainte communion qu’à condition de s’y présenter en habit de femme.
– Vous connaissez les raisons de mon refus, dit-elle.
– Je puis l’admettre mais cela ne change rien.
– Cessez de me tourmenter, cela pourrait changer bien des choses.
– C’est pour ton bien, Jeanne, pour te délivrer des mauvaises choses qui grouillent en toi. Crois-tu que le tribunal prenne plaisir à te tourmenter ?
La voix de son âme damnée, l’abominable d’Estivet, aboya :
– N’avez-vous pas encore compris, monseigneur, que cette garce est une simulatrice ? Allez-vous tomber vous aussi sous son charme ?
– Paix ! s’écria l’évêque. Retirez-vous je vous prie.
Il prit la main fiévreuse de Jeanne, lui dit d’une voix mielleuse :
– Ces épreuves sont épuisantes pour nous comme pour toi. Nous aurions dû te proposer de choisir un avocat parmi nos assesseurs au lieu de faire confiance à ton bon sens qui n’est que naïveté et incompétence ! J’ai parfois l’impression que tu renonces à ton salut.
– Mon salut... Je vous remercie de vous en inquiéter, d’autant que je suis en danger de périr. S’il en est ainsi je m’en remets à Dieu et souhaite être enterrée chrétiennement.
– Il faudra pour cela que tu te soumettes sans restriction à l’Église. Si tu persistes dans ton refus, nous serons contraints de t’excommunier et de te laisser mourir comme une Sarrasine !
Le tribunal attendit les premiers jours de mai pour faire comparaître Jeanne. Elle se trouva devant une assemblée remaniée une nouvelle fois, de manière à faire le siège des prêtres de Rouen favorables à Pierre Cauchon.
Jean de Châtillon, archidiacre d’Évreux, admonesta Jeanne. Il n’y alla pas par quatre chemins. Après la lecture des articles il demanda à Jeanne de répondre sur chacun d’eux ; elle ne varia pas dans ses commentaires, s’en remettant à Dieu.
– Dis-toi bien, Jeanne, s’écria le religieux, que si tu refuses de reconnaître l’ Unam sanctam tu seras considérée comme hérétique et envoyée au bûcher !
C’était la première fois qu’on exposait devant le tribunal cette menace précise. Jeanne répondit sans se troubler :
– Si je voyais le feu devant moi, je ne répondrais pas autre chose que ce que vous savez. Si vous mettiez votre menace à exécution vous seriez vous-même en grand péril !
Rouen, mai 1431
Le mercredi 9 mai, alors qu’elle venait d’être autorisée à faire une toilette minutieuse, l’huissier Massieu lui demanda de le suivre.
– Il n’y a pas d’audience aujourd’hui, dit-elle. Que me veut-on encore ?
– Je ne peux rien te dire, sinon que tu dois me suivre.
Ils traversèrent la cour inondée par un chaud soleil de mai, où le maître d’équitation faisait évoluer de nouvelles montures. On la conduisit dans la tour Couronnée proche de la résidence du gouverneur. Une assemblée d’une dizaine de clercs, parmi lesquels Pierre Cauchon et d’Estivet, l’attendait dans la salle basse mal éclairée par des pots à feu et des torches de résine. Tous paraissaient graves. Le lieu parut si insolite à Jeanne qu’elle marqua un recul et que les gardes durent la pousser de force vers un tabouret où elle s’assit.
– Jeanne, dit l’évêque, je vais te donner une nouvelle fois lecture des articles résumant les interrogatoires.
Elle répondit que c’était inutile : elle les connaissait par coeur. Il lui demanda de prêter serment ; elle refusa.
– Alors, ma fille, il ne faudra t’en prendre qu’à toi si notre tribunal décide de te livrer à la géhenne.
– À la géhenne ?
– Il s’agit de la torture, lui souffla Massieu. Sois courageuse.
Elle blêmit et se mit à trembler comme si la fièvre l’avait reprise. Elle parvint à affermir sa voix pour lancer à Pierre Cauchon :
– Je vous préviens, l’évêque, vous pourriez me briser ou m’arracher les membres, me faire sortir l’âme du corps, vous n’auriez pas de moi d’autre réponse. Si vous parveniez à m’arracher des aveux je dirais que vous les avez obtenus par la force !
– Nous
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