La couronne de feu
le grenier de Domrémy. Elle avait surpris l’un d’eux en flagrant délit d’omission dans la relation d’un interrogatoire et l’avait prévenu que, s’il récidivait, elle irait lui tirer les oreilles...
Étant donné le tour que prenait le procès, Jeanne prévoyait le pire quant au verdict. Le jour où elle avait demandé communication de certaine pièce du dossier, on lui avait ri au nez ; elle avait reconnu en son for intérieur que cette requête était absurde : elle ne savait pas lire et personne n’aurait consenti à lui donner lecture de ce document.
Lorsqu’on voulut la persuader que sa tentative d’évasion de Beaurevoir n’était qu’un suicide manqué, elle réagit avec humeur : son intention était d’aller porter secours aux gens de Compiègne.
Avait-elle renié Dieu et ses saints après qu’on l’eut remise aux Anglais ? La réponse fusa :
– Jamais !
Elle avait prétendu que ses juges couraient un grand danger en la mettant en accusation. Que risquaient-ils ?
Elle répondit avec fermeté :
– Vous vous prétendez mes juges, mais rien ne me dit que vous le soyez vraiment. Prenez garde à prononcer contre moi un jugement inique, car, je le répète, vous courriez un grand danger. Lorsque le Seigneur vous châtiera, souvenez-vous que je vous en avais prévenus. Sainte Catherine me répète que j’obtiendrai du secours, mais j’ignore ce qu’elle entend par là. Serai-je délivrée par jugement ou par quelque trouble public ? Peut-être par l’un et l’autre. La sainte ajoute que je ne dois pas craindre le martyre et que les portes du Paradis me seront ouvertes. Le martyre ? je le connais déjà dans ma geôle. Je crois, aussi fermement que si cela devait se produire sur l’heure, qu’à ma mort mon âme sera sauvée.
Elle avait entendu la veille les gardiens s’entretenir du trouble public qui s’était produit quelques jours plus tôt, non loin du château : une entreprise téméraire destinée à la délivrer. Elle se disait que cette idée folle ne pouvait venir que de ses compagnons. Elle en fut bouleversée.
L’audience suivante faillit d’emblée prendre un tour dramatique.
Après des questions relevant parfois de l’anecdote, les juges introduisirent la prévenue dans le domaine de la théologie, certains qu’ignorante comme elle l’était elle s’y perdrait. L’évêque demanda que Jeanne se soumît au jugement de la Sainte Église pour le cas où elle reconnaîtrait avoir péché. Elle n’y était pas opposée, sous réserve qu’elle consulterait ses voix. Elle regimba pourtant avec âpreté :
– L’Église que j’aime, je la soutiens de toutes mes forces, et pourtant vous me privez d’ouïr la messe et de me confesser !
– À quoi bon te confesser, persifla l’évêque, puisque tu te prétends assurée d’avance de ton salut ?
Le manchot Beaurepère souleva une question de théologie : l’accusée était-elle favorable à l’Église militante ou à l’Église triomphante ? Elle ouvrit de grands yeux, interrogea d’un regard éperdu les membres du tribunal, ne trouva qu’yeux baissés et bouches closes. Beaupère, charitable, daigna l’éclairer.
– L’Église triomphante, dit-il, est celle des saints, des anges et des âmes. L’Église militante est composée du Saint-Père, de la hiérarchie et des chrétiens. C’est à cette dernière que vous devez vous soumettre.
– Je suis soumise, répondit-elle, à Dieu, à la Vierge Marie, aux saints et aux saintes. Pour ce qui est de l’Église militante, je ne puis rien vous en dire sans l’avis de mes conseils.
Elle avait échappé au piège mais il restait béant. On la rattraperait bien... Lorsqu’on lui demanda si elle croyait que Dieu haïssait les Anglais elle ne marqua aucune hésitation :
– De l’amour ou de la haine que le Seigneur a pour eux, je ne puis rien dire. Ce dont je suis certaine c’est qu’ils seront boutés hors de France... excepté ceux qui y seront morts !
Protestations véhémentes des assesseurs :
– Faites taire cette sorcière ! Elle va nous jeter un sort !
– Brûlons-la sans plus attendre !
– À mort la putain des Armagnacs !
L’après-midi de cette même journée marquant la fin du procès préparatoire, Beaupère, à brûle-pourpoint, lui posa une question qui fit froncer les sourcils de l’évêque :
– Pensez-vous que, présentée au Saint-Père, vous lui diriez la vérité touchant à votre foi et à votre conscience
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