La couronne de feu
?
– Par le diable ! s’écria d’Estivet, retirez cette question : elle est hors de propos.
Jeanne reprit la balle au bond, sollicita la grâce d’être menée à Rome.
– C’est votre droit, convint le manchot. Selon saint Thomas il est licite d’en appeler au pape ou au concile général de toute chose concernant la foi. Pourtant, privée que vous êtes d’avocat et de conseil d’aucune sorte, cela ne vous serait pas possible.
L’atmosphère devint pesante. Jeanne venait de voir se refermer son dernier recours. Désormais, ses juges disposeraient d’elle à leur guise.
Rouen, mars-avril 1431
Les pluies de mars ont noyé la ville et les collines sous un brouillard épais. Dans la cour du château transformée en bourbier passent de temps à autre des groupes pressés, des patrouilles retour de la ville, leurs harnois de fer plus brillants sous l’averse. Dans le ciel bas passent parfois de longs vols de migrateurs remontant du sud.
On a laissé à Jeanne quelques jours de répit. Elle les passe à s’entretenir avec ses gardiens ou quelque religieux venu lui rendre visite. Durant ce temps, les greffiers colligent les interrogatoires pour les soumettre à la censure de Pierre Cauchon.
En prévision des nouvelles épreuves qui l’attendent au procès ordinaire, ses geôliers sont aux petits soins pour leur prisonnière : elle n’est enchaînée que la nuit, ils lui servent une nourriture convenable et ne viennent plus troubler son sommeil.
Un matin, profitant d’une trêve dans le déluge, l’enfant roi est sorti de ses appartements pour une promenade à cheval dans la cour et la basse-cour. Il portait un chaperon de couleur verte et un joli pourpoint dont les boutons de perle scintillaient au soleil. Il fit caracoler sa monture avec grâce sous l’oeil du maître d’équitation.
À plusieurs reprises Jeanne a vu passer, portant l’auge sous le bras et sifflotant un air de chanson, l’apprenti maçon Pierre Casquel. Elle avait aimé sa compagnie et aurait souhaité le revoir : il a son âge à quelques mois près et il ne lui veut que du bien. Elle ne le verra plus ; il s’est rendu suspect.
Lorsque le soleil daigne paraître, l’air a l’odeur poignante de la liberté. Jamais les prairies qui tapissent la colline n’ont paru plus vertes, les frondaisons de la forêt qui les prolonge plus épaisses, le ciel plus profond. Le pigeon qui avait disparu est revenu, la gorge gonflée de désir d’amour ; lorsque la provende tarde à lui être offerte il s’avance jusqu’à la bordure intérieure et vient picorer quelques miettes dans la main de Jeanne.
Le samedi 24 mars, la commission présidée par l’évêque prit place dans la prison de Jeanne. On lui demanda de s’asseoir ; elle resta debout.
– Nous venons, lui dit Pierre Cauchon d’une voix doucereuse, te donner connaissance du contenu des interrogatoires résumés en quelques articles. Si tu souhaites exprimer des réserves nous en tiendrons compte.
Elle écouta avec attention, se fit répéter certains articles dont le sens lui échappait et ne formula que des observations légères. Elle demanda à assister à la messe des Rameaux, ce qui lui fut refusé : pour que l’on satisfît à sa requête, il eût fallu qu’elle prît les habits de son sexe ; elle préféra renoncer.
– Nous te laisserons encore quelques jours de repos, dit l’évêque. Le procès ordinaire ne débutera que le 27 mars. En attendant je te conseille de prendre des forces : tu en auras besoin...
La première séance du procès ordinaire se déroula dans la salle du Parement avec quelques nouveaux venus, dont un prêtre anglais, John de Hampton. Le promoteur Jean d’Estivet était disposé à présenter son réquisitoire. Certains estimèrent qu’il allait vite en besogne. En revanche, il trouva de l’aide dans l’assistance lorsqu’il proposa de faire excommunier la prévenue au cas où elle s’obstinerait dans ses réponses dilatoires, sa jactance, son refus de prêter serment ou son mutisme. L’évêque se montra moins sévère. Il prit une voix suave pour déclarer :
– Nos assesseurs sont tous de doctes personnes qui entendent faire preuve envers vous de la plus grande piété. Ils ne souhaitent ni vengeance ni châtiment corporel mais votre instruction en matière de foi et votre retour dans la voie de la vérité chrétienne. Comme vous êtes dans l’ignorance de la procédure en matière de justice ecclésiastique,
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