La couronne de feu
soudain animé de frissons comme sous une averse glacée. Son visage veule parut se distendre, passant du rouge de la confusion au vert de la rage, son nez sembla s’allonger. Il protesta mollement :
– Je ne suis pas, Jeanne, aussi naïf que tu voudrais le faire croire. Pas un instant je n’ai été dupe des manoeuvres du cousin Philippe ! Il croyait se jouer de moi en proposant de proroger nos trêves et en ajournant la conférence de paix que nous avons prévu de faire siéger à Auxerre. Il a cru me tenir ? C’est moi qui le tiens !
Encore fulminant de cette palinodie, il tourna le dos à la Pucelle et fit signe à La Trémoille de le suivre dans son cabinet, une pièce de dimensions modestes ouvrant sur les douves par une fenêtre à petits carreaux losangés de couleur verte. Demeurée seule, Jeanne s’approcha de la porte et, tendant l’oreille, perçut des éclats de voix véhéments : Charles s’expliquait avec son favori, lui reprochant ses attaches avec le duc Philippe par l’intermédiaire de son frère, Louis, un des proches du duc. Quelques minutes plus tard Jeanne vit ressortir La Trémoille qui, rouge comme une crête de coq, s’épongeait le front et les bajoues. En passant près de Jeanne il soupira :
– Décidément je n’arriverai jamais à comprendre ce pauvre Charles. Pour lui ce qui est blanc un jour est noir le lendemain. Comment se fier à lui ? Quel lièvre vous avez soulevé, ma fille, avec cette histoire de cession de territoires ! Vous l’avez mis en colère et tout est retombé sur moi, comme si j’étais responsable ! Attendez pour le rencontrer de nouveau qu’il ait fait le ménage dans sa tête. Pour le moment il n’est pas à toucher avec des pincettes. Mais... pourquoi ce sourire ?
– Parce que la colère du roi me ravit : cela prouve qu’il se réveille...
Arrivés au début de mars à Sully, le roi et son ministre n’allaient pas tarder à être rejoints par le reste de la Cour.
Du sommet du donjon, par les ouvertures de la galerie donnant sur le petit galetas, Jeanne a pu voir les convois s’étirer comme des filaments le long des chemins du sud. Le roi se déplace souvent, incapable qu’il est de rester plus d’un mois dans la même résidence, et c’est chaque fois le branle-bas général, comme s’il s’apprêtait pour un pèlerinage à Jérusalem : il lui faut son mobilier, ses tapisseries, ses livres, ses petites maîtresses et des chariots d’impedimenta.
Aujourd’hui, tout est en place dans le château et les communs. Les catins royales ont investi les petites barques avec lesquelles, à la saison chaude, on fait des courses sur les douves, et font les folles en essayant d’attraper les canards.
Ce matin le roi a convoqué Jeanne dans son cabinet. Elle s’y est rendue avec l’espoir qu’il allait lui annoncer que, las des tergiversations du cousin Philippe, il lui enverrait une semonce et, peut-être, se déciderait enfin à ouvrir les hostilités. Surprise de Jeanne quand il lui a dit :
– Ma fille, j’ai une question importante à te poser : accepterais-tu de renoncer à tes habits d’homme, le temps que moi et ma Cour allons séjourner dans ce château ? Madame Catherine est toute disposée à te fournir des vêtements convenables, en rapport avec ton sexe, de manière à ne pas détonner au milieu de mes gens. Je te rappelle que nous ne sommes pas en guerre... du moins pour le moment.
– Mais, sire, a balbutié Jeanne, interloquée, je...
Il lui a lancé d’un ton abrupt :
– Acceptes-tu, oui ou non ?
– Ma foi, sire, ce n’est pas de gaîté de coeur, mais j’accepte de me soumettre à votre volonté. Cependant...
– Quoi encore ?
– Ce n’est pas ce que j’espérais de cette convocation.
– Et qu’espérais-tu ?
– Que nous parlerions de la trahison de Philippe et de la riposte à lui donner.
Il a feint la surprise.
– Une trahison, dis-tu ? Je n’en vois pas dans l’attitude de Philippe. Il fait selon sa volonté et moi de même. S’il se risque à nous attaquer sur nos terres nous lui barrerons la route. Attendais-tu autre chose de moi ?
– Non, sire, rien d’autre, mais...
D’un geste sec de la main il lui a fait signe de se retirer.
Maître Clément s’incline devant Jeanne, ajuste ses bésicles sur ses yeux de grenouille, humides d’émotion et murmure :
– Oui... oui... bien... je vois... Nous allons procéder aux mesures. Veuillez vous défaire de ce... de cet
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