La couronne de feu
auxquels ils apportaient des croûtons.
Jeanne resta à Mehun une semaine. Elle partageait son temps entre le château où elle s’entretenait avec le roi et ses ministres, et une belle demeure située à une portée de flèche, de l’autre côté de la voyère. Elle préférait cette résidence à celle de Bourges, la présence de La Touroulde lui étant devenue insupportable ; elle ne regrettait la petite capitale que pour les heures passées aux étuves et le silence magique de Saint-Pierre-le-Guillard.
Elle se lassa vite de voir les pêcheurs pêcher, les lavandières laver, les enfants jouer, de répéter au roi la même litanie : qu’allait-il faire lorsque la trêve, prolongée jusqu’en avril, prendrait fin ? comprendrait-il enfin qu’il était le jouet d’un pervers, le duc Philippe ? Charles haussait les épaules, l’air maussade. Jeanne prétendait aspirer à la paix ? Elle l’avait ! Que voulait-elle encore ?
Ce qu’elle voulait Charles le savait mieux que quiconque car elle le lui avait assez souvent répété : obtenir cette paix à la pointe de la lance. Il n’y avait pas d’autre moyen. Les trêves n’étaient qu’une duperie. Elle harcelait le roi, lui disait :
– Sire, je vous en conjure, mettez-moi à l’ouvrage. Le printemps venu, rassemblez une nouvelle armée et marchez sur Paris !
Il ne lui cachait pas que cette obstination l’indisposait.
– Je sens bien que tu t’ennuies à Mehun, disait-il. Alors pourquoi ne pas revenir à Bourges. Ton amie Marguerite La Touroulde réclame de tes nouvelles chaque semaine.
– Je ne retournerai pas à Bourges, répondait-elle d’un air buté.
– J’ai mon idée : un séjour à Sully-sur-Loire te serait salutaire. Le château est confortable, la ville plaisante et la Loire fort belle.
– Je donnerais Sully, Mehun et tous vos châteaux, sire, pour une simple tente, au milieu d’un camp, devant une ville à prendre d’assaut...
Ce n’est pas le roi qui revint à la charge au sujet d’un éventuel séjour de Jeanne à Sully-sur-Loire, mais La Trémoille, possesseur de ce domaine où il avait installé son épouse, Catherine de L’Isle-Bouchard. Il s’était efforcé de faire de cette place forte encerclée de douves larges et profondes un séjour agréable.
– J’ai reçu récemment, dit le Gros Georges, une réprimande de mon épouse : elle se plaint que vous ne lui ayez pas été présentée. Si cela vous agrée je vous ferai conduire jusqu’à Sully. Vous vous y plairez sûrement.
Jeanne y consentit. Se trouver là ou ailleurs...
Elle quitta Mehun quelques jours plus tard sans regret, lasse qu’elle était des entretiens stériles avec le roi et ses ministres. L’hiver faisait peser ses ombres et ses cendres sur une Sologne où alternaient pluies et neige. En dépit de ces mauvaises conditions de voyage on fut à Sully en deux jours. La Loire était prise sur ses bords par la glace et les douves gelées comme un miroir qui retenait prisonniers des cadavres de pigeons et de canards. Ni le roi ni son chambellan n’avaient exagéré : cette résidence avait du charme et de l’élégance ; sa position entre la ville et le fleuve, en marge d’un parc immense prolongé par une garenne giboyeuse, donnait des idées de liberté.
Jeanne passa des journées, comme à son habitude, à des opérations de reconnaissance à travers le pays figé dans l’hiver. Elle chevauchait le long des levées enneigées, poussait vers des villages perdus au milieu des forêts et des marécages, s’arrêtait pour prier dans des églises abandonnées et des chapelles rurales en ruine. Lorsqu’elle restait à demeure c’était pour s’exercer aux armes, jouter à la lance ou à l’épée avec Jean d’Aulon et ses compagnons, visiter la ville où, malgré la disette qui sévissait là comme partout, se tenaient des marchés animés.
Madame Catherine était aux petits soins pour la protégée de son époux : elle n’épargnait rien pour la distraire de ce que Jeanne tenait pour un exil doré, mais un exil.
– Un exil, Jeanne ! protestait la dame. Mais, mon enfant, vous êtes libre ! Si demain vous décidiez de quitter cette demeure, si ma compagnie vous devenait pesante ou importune, je regretterais votre décision mais ne vous en tiendrais pas rigueur.
L’épouse du Gros Georges, veuve de Pierre de Giac, l’ancien ministre du dauphin Charles, que La Trémoille avait fait assassiner pour prendre sa place, à la fois auprès
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