Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
sens et la connaissance dans de jeunes têtes remplacera le légitime plaisir que vous procurait le don de votre main.
    Henri s'était contenté de hocher la tête. Que comprenait ce vieillard qui trônait derrière son vaste bureau ? Qu'avait-il perdu en devenant vieux ? Rien. Bien au contraire. Il avait été élu cinq ans auparavant à la fonction d'abbé parce que son prédécesseur venait de trépasser et que son tempérament pour le moins falot ne lui avait valu aucune inimitié au sein du chapitre. L'acrimonie qu'Henri ressentait soudain envers cet homme, certes de peu d'envergure, mais de pitié et de charité, l'avait sidéré. Jamais auparavant de telles pensées ne lui avaient traversé l'esprit. Il s'était toujours pensé débonnaire et de paisible humeur. Pourtant, aujourd'hui, une rage et une aigreur difficiles à contenir l'étouffaient. Aujourd'hui, il n'était plus rien. Aujourd'hui ne demeuraient de lui que quelques colophons 11 . Nul ne prendrait jamais la peine de les lire.
    Henri, afin de s'épargner un persistant affront au milieu de ses frères, de ceux-là mêmes qui s'étaient extasiés sur son don, avait convaincu l'abbé, sans grande difficulté, de le détacher en leur abbaye fille de Dame-Marie, non loin de Bellême, en Perche.
    – Souhaitez-vous faire une courte pause, mon frère ? Nous pourrions en profiter pour nous restaurer. J'ai dans ma bougette 12 bien renflée quelques savoureuses surprises, mes rapines dans les cuisines, proposa le moinillon.
    Fatigué, glacé jusqu'aux os, les lèvres givrées par la buée de son souffle, Henri acquiesça d'un sourire.
    – Nous sommes assez loin de notre abbaye et pouvons bien nous réchauffer d'un petit feu. Nul n'apercevra notre fumée.
    – Ne tardons pas trop, frère Gilbert. La route est encore longue et je ne voudrais pas que nos amis se lassent de nous attendre par ce froid acharné.
    – Oh, certes pas, s'inquiéta le très jeune homme.
    Son excellente humeur chassa aussitôt son alarme et il s'enquit :
    – Vos valeureux amis, frère Henri, qui sont-ils au juste ? Si toutefois je ne me montre pas indiscret.
    – Deux frères de sang, unis par une belle entraide. L'un d'entre eux est également un de nos anciens frères.
    – Ancien ? A-t-il, lui aussi, quitté la robe ?
    – Il y a été contraint, soupira le vieil homme. (Il sembla hésiter, puis :) Convaincu de nicolaïsme 13 . L'accusation n'était pas sans fondement. Eh quoi, il aimait cette femme dont il a eu deux enfants.
    – Doux Jésus, murmura Gilbert en rougissant.
    Ces deux dernières années avaient apporté tant de bouleversements en lui, des émois dont les manifestations physiques l'avaient d'abord inquiété, puis atterré, puis comblé. Le très jeune homme se souvint de la vague voluptueuse, presque intenable qui avait dévalé en lui alors qu'il contemplait un panneau de bois peint représentant Marie-Madeleine. La sainte pécheresse lui avait souri tout le temps, les quelques infinies secondes qu'avait duré l'éblouissement qui lui noyait le cerveau faisant monter un gémissement à ses lèvres. Il avait tenté de savoir s'il n'était qu'une coupable exception. En vain. Ses imaginations avaient gagné en ampleur, foisonnant dès que son regard se posait sur une accorte paysanne venue offrir en ex-voto un linge brodé pour remplacer l'antependium 14 de l'abbatiale, ou lorsqu'une des petites servantes laïques employées aux cuisines lui adressait un clignement de paupières appréciateur. Certes, il aimait Dieu et ses semblables. Certes, les moines de Dame-Marie l'avaient sauvé d'une mort certaine alors qu'il n'était qu'un enfançon. Toutefois, force lui avait été d'admettre qu'il aimait également les femmes et n'avait nulle envie de s'en passer. Dieu lui pardonnerait dans Son infinie bonté. Après tout, Lui savait que Gilbert n'avait pas choisi le couvent. Ce que le jeune homme inventait chaque soir avant de s'endormir, les splendides découvertes qu'il ferait, les saisissantes aventures qui l'attendaient, toutes ces femmes qui se pâmeraient entre ses bras, bref, ses rêves éveillés au sujet de ce siècle qu'il dessinait à sa guise, n'en connaissant que fort peu de chose, lui avaient permis d'attendre, il ne savait trop quoi. Il l'avait enfin appris lorsque frère Henri était arrivé de Jumièges, moins d'un an plus tôt. Désespéré par son incapacité à poursuivre son art, peu enflammé par sa nouvelle charge d'écolâtre, Henri

Weitere Kostenlose Bücher