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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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perd sa passion. »
    Frère Anselme intervint d'un ton de reproche peiné, désignant le catalogue relié qu'il tenait plaqué contre ses cuisses :
    – Avec tout mon respect, mon frère, comment se fait-il que la lettre « S » ne suive pas le titre de l'ouvrage dans le catalogue, indiquant ainsi à tous où le chercher sans peine. Nous avons retourné la bibliothèque à deux reprises, sans oublier l'herbarium ! Le petit comité chargé de recenser et d'organiser notre fonds, dont j'avais l'honneur de faire partie, avait pourtant longuement insisté sur ce point de référencement. « B » suit les ouvrages serrés dans la bibliothèque, « H » ceux qui sont prêtés à l'herbarium, « S » ceux qui sont au scriptorium. Sans cet effort de rigueur, comment espérer que nous nous y retrouvions ?
    – En effet, s'étonna frère Vivien. C'est toujours ainsi que nous procédons, ce classement nous ayant paru fort approprié.
    – Eh bien, non ! Rien ne suit la mention « De contemptu mundi, de Bernardus Morlacensis », bouda le jeune moine en ouvrant la page incriminée et en désignant l'infâme carence d'un index accusateur à l'ongle endeuillé de crasse noirâtre et sèche.
    Après quelques instants de flottement, Vivien avoua :
    – C'est à n'y rien comprendre !
    – Donc, l'ouvrage vous a été porté pour restauration ? reprit monsieur de Villanova.
    – Si fait.
    – Éclairez-moi : qui décide de la nécessité de réparer, de nettoyer ou de copier un manuscrit ?
    – Ma foi, c'est assez variable. J'inspecte moi-même régulièrement les rayonnages de la bibliothèque. À chaque automne, par exemple, afin de m'assurer que des insectes n'ont pas ravagé certains ouvrages ou qu'ils n'ont pas pondu entre les pages. D'autres frères, alarmés par l'état d'un manuscrit, font part de leur inquiétude, soit à notre père, soit à frère Anselme, soit encore à moi.
    – Vous souvient-il qui vous a confiéDe contemptu mundi ?
    – Si fait : frère Henri, paix à son âme. Quelle horreur. Je prie pour son repos chaque jour. Quelle main il avait eue ! Une main unique.
    Arnoldus de Villanova ne commenta pas. Père Jacques, en homme avisé et en fin politique, était resté avare de détails sur le décès de l'ancien enlumineur. Dame-Marie, à l'instar de toutes les congrégations, n'avait nul besoin de conserver le souvenir d'un renégat, tueur par procuration et damné. La paix et la cohésion étaient à ce prix. Frère Henri serait donc enterré en terre consacrée afin d'éviter le scandale et les questions qui allaient avec. Une décision, certes insatisfaisante, mais sage.
    – Le manuscrit était-il gravement endommagé ? Pouvons-nous le consulter ?
    – Avec grand plaisir, déclara le surveillant en se levant de son banc et en se rapprochant d'une bibliothèque. Quelques piqûres de moisissure à un coin de la couverture, selon moi anciennes et donc peu préoccupantes. Toutefois, frère Henri semblait tenir tout particulièrement à cette œuvre remarquable et m'avait proposé de s'en occuper. Le pauvre cher était si désolé de ne plus pouvoir tenir la plume que j'ai pensé que le contact moins exigeant d'une couverture en besoin de restauration lui ferait grand bien.
    – C'est charitable à vous, commenta monsieur de Villanova avec sincérité.
    De son coin de scriptorium, dos tourné, frère Vivien lança d'une voix dont l'amusement se teintait de regret :
    – L'âge, messire médecin. L'âge ! Quelle insulte faite à nos dons. Quelle claque à notre prétention de les croire éternels.
    – Je le constate chaque jour, mon ami, répondit Villanova d'un ton complice. Bah, la vie, la jeunesse sont des prêts que nous octroie Dieu, dans Son infinie bonté. Nous sommes bien fols de nous acharner à penser qu'il s'agit de présents définitifs.
    – À la vérité ! Toutefois, avouez qu'il s'agit d'une illusion tentante. Peu d'entre nous y échappent.
    – Et je ne serai pas celui qui peut jeter la première pierre en la matière ! plaisanta le savant.
    Ils patientèrent encore quelques instants pendant que frère Vivien fourrageait dans les étagères, parmi les piles de livres, remontant ses pesantes béricles pour déchiffrer les titres.
    – Ah, le voici ! s'exclama le frère surveillant.
    Villanova ferma les yeux, retenant un soupir de soulagement. Frère Vivien revint vers eux, le lourd volume brandi à bout de bras. Anselme fit un geste en sa direction

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